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restèrent en relation les uns avec les autres. Plusieurs lieux publics leur servaient de points de réunion. Les Bains chinois, alors dans toute leur vogue et que nous avons connus encore sur les boulevards, étaient un de ces centres où se réunissaient les principaux conspirateurs. Une chanteuse, Sophie Lapierre, maîtresse de Darthé, venait y chanter une chanson dont le refrain était : « Le soleil luit pour tout le monde. » Leur principal centre était la société du Panthéon. Il y avait là deux sociétés : l’une secrète, l’autre publique. Dans celle-ci, on affectait de défendre le gouvernement du directoire, qui, d’abord trompé, la prit presque sous sa protection. Cependant des soupçons s’élevaient ; et un pamphlet, intitulé le Secret du directoire, était dirigé contre cette société du Panthéon, que l’on rattachait d’une manière assez bizarre aux templiers, aux francs-maçons, aux révolutionnaires italiens Rienzi et Masaniello, à Cromwell, aux charlatans Cagliostro et Saint-Germain, aux defenders de l’Écosse et aux white boys de l’Irlande. Bientôt des affiches insurrectionnelles furent posées sur les murs de Paris et provoquèrent de nombreux attroupemens. Le club du Panthéon réclama l’exécution des décrets de ventôse qui devaient assurer aux indigens patriotes les propriétés des riches suspects[1]. Babeuf fut menacé et obligé de se cacher chez les demoiselles Duplay, les anciennes amies et hôtesses de Robespierre, et dont le frère, le charpentier Duplay, fut aussi compromis plus tard dans la conspiration. Babeuf ne resta pas longtemps dans le même asile. Pourchassé partout et plus ou moins bien recherché par la police, il passait de l’un chez l’autre, se cachait dans une cave comme Marat et continuait à publier de loin en loin un numéro du Tribun du peuple. Bientôt sa femme est arrêtée, mais, sur de pressantes et nombreuses sollicitations du parti populaire, encore assez en crédit, rendue à la liberté. Son fils Émile, âgé de douze ans, était chargé de lui donner des nouvelles dans des lettres d’une orthographe douteuse et dans une langue digne du père Duchesne. Bientôt le club du Panthéon fut dissous par le général Bonaparte, alors chef de l’armée de Paris.

Jusqu’ici cependant il n’y avait encore eu que de vagues tendances anarchiques se confondant plus ou moins avec les menées du parti révolutionnaire. C’est seulement vers la fin du mois de germinal (an IX) que commence la véritable conspiration. Un directoire secret de salut public, composé d’Antonelle, de Buonarotti, de Darthé, de Bodson, de Simon Duplay, de Sylvain Maréchal, se forma pour préparer le plan de l’entreprise. Antonelle et Bodson reculaient devant la guerre civile. C’est à ce moment que se placent les

  1. Voir l’étude précédente.