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sa charité, ses yeux qui voyaient tout, ses mains qui touchaient à toutes les plaies sans les faire crier, ses journées consacrées aux pansemens, ses nuits employées à laver, à blanchir, à coudre, son infatigable dévoûment, sa sérénité que rien n’altérait, tout cela plongeait le digne prêtre dans un abîme d’étonnement. Un jour il s’écria : « Chère et respectable sœur, je suis sûr que les anges vous préparent au ciel une place d’honneur pour tout le bien que vous ne cessez de faire. » A quoi elle répondit en rougissant : « On ne saurait en faire assez quand on travaille pour l’éternité. » Elle avait pris sa souquenille en pitié, elle lui donna une soutane neuve ; plus tard elle lui fit présent du crucifix qui pendait à son rosaire. Le prêtre décida que cette soutane et cette croix seraient « l’éternel honneur de sa vie et le seul ornement de son humble tombeau. »

La profonde admiration que cette religieuse inspirait au curé de Problus était partagée par tous les blessés recueillis à Hradek. Les chirurgiens disaient d’elle qu’elle était plus infirmière que nonne, et cependant elle s’occupait des âmes autant que des corps. Elle avait des consolations pour toutes les douleurs ; catholiques, protestans ou juifs, elle parlait à chacun le langage qu’il pouvait entendre, et à tout le monde elle donnait un peu de son cœur et un peu de sa foi. Un pauvre troupier italien, qu’elle avait soigné longtemps sans pouvoir conjurer l’inévitable destin, l’appela un jour à grands cris ; il prétendait avoir une communication pressante à lui faire. Quand elle parut, rassemblant ses forces et le peu d’allemand qu’il savait, il s’écria : « Wenn sorella crepirt, gleich bei Jésus ! Quand sœur crèvera, ira droit à Jésus ! » La religieuse lui fit signe qu’elle avait compris ; alors il essaya de battre des mains, son visage rayonna de plaisir et il expira.

Qu’eût pensé le curé de Problus ; qu’eût pensé le soldat lombard, si quelque prophète leur avait révélé les secrets de l’avenir ? Quelle eût été leur surprise si on était venu leur annoncer que cette femme qu’ils avaient vue à l’œuvre serait quelques années plus tard retranchée de la communion des fidèles et qu’après sa mort, on la dépouillerait de sa robe pour lui faire racheter le crime d’avoir voulu mourir dans la foi où elle était née, d’avoir refusé de dire oui quand sa conscience disait non ? Le curé de Problus et le soldat lombard avaient l’esprit bien court ; ils n’avaient pas su voir sur ce front la griffe de Satan, le signe de ces rébellions qu’on expie dans l’étang de soufre et de feu. Pascal disait : « Si mes lettres sont condamnées à Rome, ce que j’y condamne est condamné dans le ciel. » Lorsqu’on vint annoncer à sœur Augustine que, si elle ne se soumettait, elle serait expulsée de l’ordre et dépouillée de l’habit, elle pleura beaucoup, elle pleura longtemps ; on la frappait dans ce qu’elle avait de plus cher au monde. Au bout de quelques jours, elle surmonta son désespoir, elle finit par dire : « . Eh bien ! qu’est-ce après tout ? Un matin je ne trouverai plus ma robe noire, elles