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entrer les malades, et elle s’écriait : « Les mains me démangent de me mettre à l’ouvrage. » Elle disait dans son énergique langage que a sa vocation la hantait tout le jour comme un péché. » C’est là le signe des vraies vocations ; tous ceux qui ont fait de grandes choses dans ce monde ont été la proie d’une pensée qui les sollicitait avec l’insistance d’un péché.

Pendant l’été de 1838, Amélie de Lasaulx commença des démarches auprès de la mère générale des sœurs de Saint-Charles Borromée à Nancy, et bientôt elle franchit le pas ; mais s’inspirant des habitudes silencieuses de sa famille, elle partit sans prendre congé de personne. Son père demeura longtemps inconsolable ; il en voulait à l’église de lui avoir volé son bien, son bonheur, sa gaîté, son soleil. Amélie fut inflexible. Après un noviciat de trois ans, elle prit l’habit et prononça ses vœux sous le nom de sœur Augustine. Puis on l’envoya à Aix-la-Chapelle, et sept ans plus tard, nommée supérieure, elle se rendait à Bonn pour y diriger le nouvel hôpital catholique, où elle a passé vingt-deux années.

A plusieurs reprises le catholicisme a fait amitié avec la philosophie. Au moyen âge, il apprit beaucoup d’Aristote ; plus tard il se laissa greffer par Descartes et cette greffe produisit des fruits savoureux. Au commencement de ce siècle, le commerce qu’il entretint avec la philosophie allemande lui procura une école de grands théologiens, tels que les Hermès et les Mœhler. Approuvés d’abord par l’église, ils devinrent bientôt suspects ; les jésuites se chargèrent de les dénoncer à l’animadversion du saint-siège. On calomnie les jésuites, on les accuse de tout sacrifier à l’amour de l’intrigue et de la domination ; ils sont plus consciencieux qu’on ne le pense, ils sont absolument sincères dans le goût que leur inspire la médiocrité, dans l’horreur qu’ils ressentent pour toutes les générosités de l’esprit. L’un des frères de sœur Augustine, Ernest de Lasaulx, fut un des coryphées du catholicisme libéral ; croyant plein de ferveur et écrivain distingué, il eut le chagrin de voir mettre ses livres à l’index. Sœur Augustine aimait tendrement son frère, mais elle ne partageait pas toutes ses idées, et au surplus, elle ne se piqua jamais de théologie. En matière de dogmes, elle s’en tenait à son catéchisme, qu’elle interprétait avec son cœur ; elle croyait parce qu’elle aimait, elle aimait parce qu’elle croyait.

Elle avait cette religion simple et élevée des grandes âmes qui ne respirent à l’aise que sur les cimes. Aussi faut-il lui pardonner d’avoir toujours éprouvé une invincible répulsion pour les méchantes petites idolâtries par lesquelles on a déshonoré le catholicisme, pour les sottes pratiques, pour tous les abêtissemens de l’esprit, pour les images dévotement sensuelles, pour ces cœurs saignans qui, disait-elle, « crucifiaient son esthétique. » Lorsqu’elle était entrée en religion, les règles et les statuts de la congrégation des sœurs de Saint-Charles étaient