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envie de pleurer quand on lui parlait de l’eau de Lourdes et du miracle de la Salette, et que le suprême effort de sa patience était d’écouter « les gens à qui la sottise sort par les yeux. »

Les saints ont d’habitude l’humeur grave et un peu tendue ; ils passent leur vie à contraindre la nature, et la nature, qui est la source de toute joie, se venge des violences qu’ils lui font en les condamnant à la tristesse ; les arbres émondés ne sont jamais gais. Quoiqu’elle eût souvent envie de pleurer et malgré les dégoûts que lui causaient les tracasseries, malgré les sévérités d’une conscience affamée de perfection, qui ne se faisait grâce sur rien, sœur Augustine garda toujours son enjouement, ce qu’elle appelait sa bienheureuse légèreté d’esprit, ihr glücklicher Leichtsinn. Le monde est ainsi fait qu’il a peine à se représenter une sainteté qui rit. Jusqu’au bout, sœur Augustine sut rire. Dans la dernière semaine de son séjour à Hradek, comme elle se rendait à pied dans une ambulance voisine, elle se sentit si réjouie par la solitude de la forêt qu’elle traversait qu’oubliant tout à coup les horreurs qu’elle avait vues, les plaies sanglantes qu’elle avait maniées et pansées, son état, son habit, son âge, elle se mit à sauter à pieds joints par-dessus les tas de pierres espacés sur le bord de la chaussée. Un cri de joyeux étonnement interrompit sa gymnastique. En se retournant, elle aperçut avec effroi une troupe de soldats qui semblaient prendre quelque plaisir au spectacle d’une religieuse en gaîté. Les saints n’ont qu’une idée, et ils réprouvent tout ce qui pourrait les en distraire. Dans les rares et courts loisirs que lui laissaient ses pauvres et ses malades, sœur Augustine se permettait toutes les distractions. Elle aimait les arts, la science, les beaux vers ; mais surtout elle aimait les fleurs « qui, disait-elle, sortent tout droit de la main de Dieu. » Elle déclarait que rien n’est plus instructif qu’un printemps fleuri ; elle y voyait « une ombre de l’éternel printemps que n’effeuillent pas les vents du nord. » Dans les derniers temps de la vie, il lui fut donné de passer quelques heures hors de son hôpital, sur le Rhin. En contemplant avec délices ce beau fleuve qui lui avait toujours été cher, elle se mit à réciter des vers de Dante, et elle troublait les dévotions de la sœur cuisinière qui l’accompagnait ; elle lui disait : « Ma sœur, ma sœur, levez donc votre nez de dessus voire bréviaire, vous n’aurez pas ceci tous les jours. » Mais si elle aimait les fleurs et le Rhin, ce qu’elle aimait encore plus, c’étaient ses amitiés. Elle n’avait pas compris dans son vœu de pauvreté les appauvrissemens du cœur, elle n’entendait pas faire la solitude dans son âme, ni porter le désert sous sa robe noire. Un matin qu’elle avait entendu une ennuyeuse homélie, dont la conclusion était que, pour aimer Dieu davantage, il ne faut pas donner son amour aux hommes, elle écrivait dans son journal : « Mon Seigneur,