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qui pèse sur l’Europe, le cabinet libéral de l’Angleterre l’a reçue des mains de lord Beaconsfield, et ce n’est pas la seule question difficile qu’il ait trouvée dans l’héritage du dernier ministère. Quelle sera la politique définitive de M. Gladstone vis-à-vis de l’empire ottoman ? Le premier ministre de la reine se laissera-t-il entraîner par sa haine du Turc, par les anciennes opinions du chef de l’opposition jusqu’à prêter la main à des combinaisons aventureuses qui ajouteraient aux instabilités de l’Orient ? Se laissera-t-il au contraire ramener par le sentiment de la responsabilité du pouvoir, et aussi par d’esprit plus mesuré de lord Granville, aux vieilles traditions britanniques ? Il n’est pas impossible que la politique du cabinet anglais dans les affaires de Turquie ne se ressente un peu aujourd’hui des difficultés qu’il rencontre sur plus d’un point du globe, surtout de cette sanglante et tragique complication qui vient d’éclater tout à coup ces jours derniers dans l’Afghanistan. La guerre de l’Afghanistan, c’était aussi une partie de l’embarrassant héritage du ministère Beaconsfield, et le nouveau cabinet, à son avènement, ne cachait pas le désir qu’il éprouvait d’en finir le plus tôt possible, de la meilleure manière possible, avec une question qui intéresse si vivement la puissance de l’Angleterre dans l’Inde. Le cabinet de Londres n’avait cru pouvoir mieux faire que de susciter un nouvel émir, Abdurrhaman, avec qui il pût traiter. Il avait reconnu Abdurrhaman, il s’était employé à le faire reconnaître par un certain nombre de chefs afghans ; il avait essayé d’établir régulièrement les relations de l’Angleterre avec le nouveau souverain, de façon à pouvoir préparer dans un délai assez prochain la retraite des troupes anglaises. Le marquis Hartington qui est ministre des Indes, en exposant il y a quelques jours seulement cette situation devant la chambre des communes, se défendait de toute illusion ; il était loin de manifester une confiance optimiste. « L’incertitude de la situation politique en Afghanistan est si grande, disait-il qu’il n’est pas possible de déclarer que les troubles ne s’y renouvelleront pas. » Le marquis Hartington s’exprimait en homme prudent, et il avait ses raisons pour se défendre de toute « confiance exagérée. » Il savait que la soumission des chefs afghans à Abdurrhaman était loin d’être complète et sérieuse, il n’ignorait pas notamment qu’un frère du dernier émir, Eyoub-Khan, était retranché à Hérat, dont il s’était fait une sorte de principauté indépendante, qu’il avait des partisans nombreux, une armée, et qu’il se disposait à s’avancer dans l’intérieur du pays, à marcher sur Candahar, occupée par une partie de l’armée anglaise. Le ministre des Indes savait qu’il y avait là des élémens de trouble, que cette retraite des soldats anglais, qu’il annonçait comme prochaine, comme décidée, pourrait ne pas s’accomplir sans quelques incidens imprévus ; mais, même en faisant la part des difficultés d’une situation critique, lord Hartington ne pouvait pressentir ce qui allait arriver. Presque au moment où il