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parlait en effet, à l’autre extrémité du monde, au cœur de l’Afghanistan, une partie de l’armée anglaise avait à essuyer une véritable catastrophe militaire qui remet tout en question.

Comment s’est accompli ce douloureux épisode ? On n’en sait pas encore toutes les circonstances. Ce qui n’est point douteux dès aujourd’hui, c’est que les Anglais campés à Candahar étaient au courant de la marche d’Eyoub-Khan sans connaître exactement, à ce qu’il semble, l’importance de ses forces ; ils savaient seulement que d’assez gros détachemens afghans, qu’ils avaient vainement essayé de retenir, étaient allés rejoindre le prétendant. Une brigade de deux à trois mille hommes est partie de Candahar sous les ordres du général Burrow pour aller à la rencontre d’Eyoub-Khan. Elle s’est heurtée, à ce qu’il paraît, contre une armée plus forte qu’on ne le croyait, munie d’une artillerie assez considérable ; peut-être a-t-elle été surprise et dans tous les cas elle a été à peu près anéantie. Des débris de la brigade de Burrow, des hommes isolés ont pu seuls jusqu’ici rentrer à Candahar, où le général Primrose, qui commande la ville avec des forces diminuées, paraît avoir été réduit à s’enfermer dans la citadelle, ne voulant pas s’exposer à être détruite son tour par Eyoub-Khan dans une lutte inégale. Il reste maintenant à savoir quelles seront les conséquences de cette catastrophe qui n’est pas la première essuyée par une armée anglaise dans l’Afghanistan, mais qui n’est pas la moins pénible. Pour le revers militaire, il sera certainement réparé. Déjà de toutes parts des renforts sont expédiés de l’Inde et des troupes nouvelles sont envoyées d’Europe. L’Angleterre rétablira le prestige de ses armes, on n’en peut douter ; mais la retraite annoncée par lord Hartington est pour le moment ajournée, elle reste subordonnée à la marche des événemens, et ce n’est plus seulement une question militaire. Les Anglais sont en face d’une guerre civile dans l’Afghanistan, d’une compétition de pouvoir souverain : voudront-ils aller jusqu’au bout, défendre l’émir qu’ils ont reconnu, avec qui ils ont traité, contre le prétendant dont le récent succès va gonfler l’orgueil et grandir l’influence dans le pays ? Le cabinet libéral n’est pour rien sans doute dans ces complications qu’il n’a pas créées, qui lui ont été léguées ; il n’en subit pas moins les conséquences, il est obligé de faire face à l’ennemi. Il ne peut guère se contenter d’une mauvaise solution qui risquerait d’affaiblir la puissance britannique dans l’Inde, — et voilà l’Angleterre ressaisie par une autre difficulté orientale qui est peut-être de nature à modérer l’imagination de M. Gladstone dans les affaires de la Turquie !


CH. DE MAZADE.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.