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garder dans toute l’antiquité. Ce n’était pas le principal : Épicharme la constitua surtout par l’invention de la fable, c’est-à-dire par la conception et le développement d’une action régulière. C’est ce que fait nettement entendre le témoignage d’Aristote ; il est même à remarquer que, dans la pensée du grand critique, la comédie d’Épicharme semble se lier directement à celle de Ménandre : il paraît faire abstraction de l’ancienne comédie athénienne qui, pour lui, n’est qu’une déviation ; car, engagée dans ce qu’il appelle la forme ïambique, c’est-à-dire entravée dans sa marche par les fantaisies de la satire personnelle et par la liberté des allusions, elle n’atteint pas à ce degré d’indépendance et de généralité que demande le drame.

Cette rigoureuse théorie du philosophe est favorable à Épicharme, puisqu’elle lui assigne l’honneur d’ouvrir à l’art la voie droite et légitime. Cependant, en un sens, elle lui fait tort ; car l’exposition trop sommaire qu’on lit dans la Poétique ne dit pas tout ce que l’ancienne comédie, — cette vive production de l’esprit athénien, dont le silence d’Aristote ne peut diminuer la valeur, — avait emprunté aux exemples du comique sicilien. Sans parler de certaines pièces de Cratès, de Phérécrate, d’Hégémon de Thasos, même de Cratinus, où, soit par une répugnance des auteurs, soit par suite des circonstances, l’élément politique n’avait pas pu se donner carrière et qui par là rentraient davantage dans les conditions de la comédie de Syracuse, il y avait des sujets, des scènes, des personnages qui venaient en droite ligne de cette comédie : par exemple, ces développemens gastronomiques dont nous avons parlé et tout ce qui se rapportait à la parodie des dieux et des héros. Ce dernier genre de thème, après avoir fourni une abondante matière à l’ancienne comédie, défraya plus largement encore la comédie moyenne, dont la riche production, si complètement perdue pour nous, s’étendit sur tout le ive siècle avant Jésus-Christ.

Épicharme fournit donc beaucoup à cette partie si considérable du drame attique. Sans doute aussi, dans cette Grèce occidentale de la Sicile et de l’Italie, où il avait composé lui-même et trouvé les élémens de ses compositions, s’il nous était possible de mieux suivre la filiation complexe des œuvres littéraires, on verrait sa trace marquée dans ces formes locales sous lesquelles se continuaient, à côté de la comédie proprement dite, les jeux primitifs du comique dorien. Il est probable qu’elle se reconnaîtrait, malgré la différence de la poésie à la prose, dans les mimes du Syracusain Sophron, contemporain plus jeune d’Épicharme, qui sut amener les scènes de la vie familière où s’était essayé l’art naissant à la perfection de petits tableaux d’un charme particulier, dont la spirituelle élégance laissait subsister la sève native et comme le goût de terroir de