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lesquelles se fondent les jugemens, plus d’un ingénieur commentaire sur le texte et la discussion des arrêts qui fixent la jurisprudence. Nous voulons seulement essayer de marquer les traits essentiels de cette application réciproque de l’économie politique et du droit qui a contribué véritablement à ouvrir une voie nouvelle. Étude générale encore plus que spéciale et où les destinées mêmes de la société moderne pourraient bien, selon les solutions qu’elles recevront, se trouver engagées plus qu’on ne pense.


II

Le point de contact des sciences de l’ordre social est la philosophie. C’est là qu’elles se rencontrent dans l’unité des principes supérieurs. En parlant ainsi, on ne répète pas seulement la belle définition qu’Aristote a donnée de cette science du général à laquelle toutes les autres se rattachent ; on ne quitte pas la France, pour ainsi dire, où cette union qui est le vœu des grands esprits devient une heureuse réalité. Parmi tant d’autres, Domat et d’Aguesseau, deux grands noms, sont des jurisconsultes philosophes. Qu’il me soit permis de le remarquer, en nommant d’Aguesseau je ne fais pas allusion surtout à l’auteur des mercuriales, qui ne forment pas son titre principal, quoiqu’elles soient son ouvrage le plus répandu. Les lecteurs de notre temps très dégoûtés risquent trop de trouver presque aussi ennuyeux qu’estimables ces lieux-communs de morale ; le style pur, élégant, dont ils sont habillés avec une solennité trop constante, tourne vite à la monotonie, malgré quelques justes peintures des travers et des vices du temps. Le vrai d’Aguesseau est plus simple, quoique toujours soigné et un peu orné. Dans ses instructions familières et dans ses lettres intimes, l’orateur dépose sa toge pour faire place à l’homme d’esprit et à l’honnête homme au sens du XVIIe siècle ; il est clair que là et partout il a une philosophie qui lui tient à cœur. Mais elle est surtout exposée dans les dix Méditations sur les vraies ou les fausses idées de la justice, Domat et d’Aguesseau sont des philosophes spiritualistes fortement établis dans les principes cartésiens et platoniciens. Domat avait ouvert la carrière dans son livre : les Lois civiles dans leur ordre naturel, Domat, dont V. Cousin a dit quelque part qu’il est par excellence notre jurisconsulte philosophe, à la différence de Cujas qui habite en quelque sorte avec l’antiquité romaine, occupé de l’édit du préteur, de la restitution et de l’interprétation du texte authentique, à la différence aussi de Dumoulin qui s’enferme dans les coutumes et le droit canon, pour y disputer la raison et l’équité à la barbarie qui l’enveloppe lui-même. Domat, en même