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occupent une place considérable dans la législation, le travail n’y a pas obtenu la part distincte qui lui appartient et qu’il serait utile de lui reconnaître. Dans cette vigoureuse dissertation je ne remarquerai qu’un point, capital à vrai dire, et qui semblait former une des principales pierres d’achoppement entre l’économie politique et la plupart des jurisconsultes. Ce point regarde les services des professions libérales. Nous avons dit que la tendance du vieux droit français, qui lui venait du droit romain, était un certain dédain pour les arts industriels. Certes, nous sommes loin de prétendre qu’il y ait parité et parfaite égalité morale entre toutes les professions. Le travail est honorable sous toutes les formes : l’est-il exactement au même degré ? Les tâches qui exigent une grande intelligence, celles qui impliquent désintéressement et dévoûment, ne se placeront-elles pas dans la considération des hommes plus haut que le travail purement musculaire ou que les occupations ayant le lucre pour objet unique ? Assurément, et M. Renouard acceptait la légitimité de ces distinctions ; mais il y mettait certaines bornes. Il repoussait certaines définitions juridiques qui, exagérant sans mesure les différences, repoussent comme une sorte d’injure aux professions libérales toute similitude qu’on en pourrait faire avec les travaux industriels, quant au mode et à la qualification même des rémunérations. Ainsi on avait imaginé des théories qui n’allaient pas à moins qu’à regarder les professions nobles comme gratuites par essence, quelque rétribution qu’on y attachât. Expliquons-nous. Le mandat étant un contrat plus noble que le louage, on attribua au premier les professions libérales, au second les arts mécaniques ; on distingua entre le prix, le salaire, l’honoraire. Voulez-vous savoir à quel degré d’argutie peut arriver, sous l’influence des préjugés antiéconomiques, un esprit profondément sensé, judicieux, une des lumières les plus incontestables de notre droit français, l’illustre Pothier ? vous n’avez qu’à lire la subtile argumentation par laquelle il prétend établir que l’avocat ne reçoit pas, à proprement parler, un prix pécuniaire de ses services, mais remplit au fond un mandat gratuit. Il suppose que le client va trouver un avocat pour le prier de le défendre. Celui-ci y consentant, le client promet que « pour donner une faible marque de sa reconnaissance, » il lui fera cadeau d’un ouvrage utile à ses travaux, « soit par exemple du Thésaurus de Meerman, qui manque à sa bibliothèque. » L’avocat répond qu’il accepte volontiers un présent offert de si bonne grâce, « il n’exige rien. » La promesse du Thésaurus qu’il consent à agréer, est une convention qui, quoiqu’elle intervienne en même temps que le contrat de mandat, n’en fait pas néanmoins partie. Que si maintenant nous changeons le