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point de vue de leurs intérêts mercantiles. » L’éloquence de Burke s’appuyait sur des faits trop réels pour n’avoir pas exercé une action puissante sur ceux qui l’écoutaient, et, finalement, c’est au grand orateur que revient l’honneur d’avoir, le premier, éveillé dans le cœur de ses compatriotes le sentiment de leurs devoirs envers les nations, conquises. Ces principes éternels de justice et d’humanité devaient inspirer tous les actes de l’administration de lord Minto ; chaque page de sa correspondance officielle ou privée en porte le témoignage, et l’on verra plus tard par quel effort de sa volonté il parvint à les concilier avec les intérêts de l’état.

Lord Minto, dès qu’il eut posé le pied sur le rivage indien, se trouva comme débordé par les occupations de toute nature qui l’assaillirent à son arrivée, et c’est à peine s’il eut, à partir de ce moment, le loisir de rendre compte aux siens de ses propres impressions. Avant de le suivre dans le mouvement des affaires auxquelles il allait se donner tout entier, pourquoi nous interdirions-nous de jeter un coup d’œil sur le pays étrange dont la singularité le frappa dès le premier abord, alors que l’habitude n’en avait pas encore émoussé, pour lui, les traits les plus saillans ? Nous croyons d’ailleurs que, pour un Anglais, l’extrême Orient ne laisse pas de perdre quelque chose de son originalité par la fréquence des relations établies entre la mère patrie et ses lointaines possessions. Aux yeux du trafiquant ou de l’économiste qui vont en étudier les ressources, l’Inde ne doit pas apparaître avec la couleur locale, bizarre ou grandiose, qu’elle revêt pour un spectateur désintéressé. Pour nous, ces mêmes pays, entrevus dans un lointain mystérieux, restent le domaine des féeries dont notre enfance a été bercée. Bagdad, Candahar, Cachemyre demeurent toujours des noms magiques, évoquant les souvenirs des Mille et une Nuits, dont le merveilleux nous donne peut-être une idée plus juste des mœurs orientales que ne le font les récits des plus graves historiens. N’est-ce pas, en effet, un monde tout à la fois fantastique et réel que ce berceau de l’humanité devenu peu à peu tellement étranger aux races qui en sont sorties qu’il n’existe plus la moindre affinité entre elles et les peuples primitivement implantés sur ce sol antique ? Impénétrables à l’Européen, sinon par les travaux des savans, ces nations asiatiques parlent du moins à notre imagination un langage qu’elle peut comprendre à l’aide des fictions qui, au milieu des éblouissemens du surnaturel, nous retracent les scènes colorées et vivantes de l’existence ordinaire. De ce milieu se dégage l’esprit même des races orientales et il apparaît alors aussi clairement à notre intelligence que si le pouvoir du génie esclave de la lampe nous transportait au sein de l’antique Orient.