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La théologie et la métaphysique, toujours d’après l’école positiviste, ont pour objet le même ordre de questions ; elles n’en diffèrent que par la manière de les résoudre. Ce sont les causes premières, les premiers principes des choses, l’absolu, en un mot, qu’elles recherchent toutes deux. Mais, tandis que la théologie personnifie cet absolu en un ou plusieurs individus dont la forme est empruntée à la nature ou à l’humanité, la métaphysique en fait une ou plusieurs entités abstraites, principes, forces, substances, qu’elle réalise à part des phénomènes et de leurs rapports. L’esprit humain passe par ces divers états, en suivant invariablement l’ordre ci-dessus indiqué. Toute explication des choses commence par le dogme théologique. Puis vient la doctrine métaphysique, qui contredit le dogme et essaie de le remplacer en substituant ses explications à celles de la théologie. Enfin paraît la théorie scientifique, qui finira par mettre à néant le dogme et la doctrine tout à la fois, et par régner en souveraine absolue et unique sur leurs ruines sous le nom de philosophie positive. Auguste Comte était trop de son siècle pour ne pas comprendre que la théologie et la métaphysique ont eu leur nécessité et leur utilité. Son plus éminent disciple, moins absolu, et beaucoup plus familier avec les sciences historiques, était plus en mesure d’expliquer avec précision le rôle de ces deux puissances de la pensée. « La métaphysique a un rôle essentiellement critique, par conséquent toujours lié à des données qui ne lui sont pas exclusivement propres : ce sont les données théologiques. La métaphysique s’occupe des mêmes objets que la théologie, mais elle s’en occupe d’une manière différente. Dès lors s’établit entre l’une et l’autre un rapport qui détermine inévitablement le caractère de la métaphysique : aussi la voit-on constamment en conflit avec les pouvoirs religieux, dont elle compromet les conditions d’existence. La prétention de traiter d’une façon indépendante les questions que les théologiens résolvent n’a jamais été acceptée par les pouvoirs religieux ; mais, d’un autre côté, la prétention de limiter dans un certain cercle les discussions sur les notions absolues communes aux théologies et à la métaphysique n’a jamais été acceptée par celle-ci. De là le rôle social des théologies et des métaphysiques. Dans l’histoire des peuples les plus avancés, ces deux puissances ont été invincibles l’une pour l’autre : elles se sont partagé le domaine commun par des limites continuellement variables entre la foi et le raisonnement[1]. » En un mot, pour l’école positiviste, la théologie et la métaphysique valent, non par le fond des doctrines, qui ne reposent sur aucune donnée susceptible de

  1. Littré, Conservation, Révolution, Positivisme, p. 46-47.