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épanchement nécessaire et incessant. Ici donc l’histoire n’offre pas à l’hypothèse positiviste la réalité sur laquelle elle prétend fonder sa définition, puisque les grandes religions de l’Inde ne présentent point une théologie absolument pure d’élémens métaphysiques. Il y a plus. La science elle-même s’y retrouve cachée sous le dogme religieux. Cette savante théologie est une vraie synthèse encyclopédique où la pensée et l’observation se confondent avec le rêve, où la métaphysique, la psychologie, la morale, la logique, la physique elle-même se reconnaissent sous le voile des plus poétiques symboles.

La théologie n’a pas tellement occupé la pensée de l’Inde qu’on ne puisse y retrouver des œuvres d’un caractère différent et d’un genre distinct. Depuis les publications de Colebrooke et d’autres savans indianistes, il n’est plus permis de douter que l’Inde n’ait eu aussi sa philosophie. Et cette philosophie est assez complète pour que Victor Cousin ait cru y reconnaître les quatre systèmes fondamentaux dont il érigeait la succession en loi de toute époque philosophique. Eh bien ! a-t-elle vraiment succédé à la théologie ? L’a-t-elle remplacée surtout ? Non, puisque cette théologie a continué à régner et règne encore aujourd’hui en souveraine absolue sur toutes les castes de la société indienne. Est-on même sûr que ces philosophes, tels que Kapila, Gotama, Patandjali, ne soient pas restés de fervens croyans ? Car c’est encore là un phénomène dont le positivisme ne tient pas compte, et qui s’est produit dans toutes les écoles philosophiques de l’antiquité et des temps modernes.

La mythologie grecque fut une religion sans code religieux et avec un sacerdoce tout local dont les prêtres, confondus avec les autres classes dans la vie de la cité, n’ont jamais formé un corps proprement dit, une église dans l’état. Ce n’est pas eux qui ont fait le dogme religieux, si l’on peut donner ce nom à une diversité de mythes non coordonnés en système ; ce sont les poètes, les moralistes, et, en dernier lieu, les philosophes. Bien que la restauration de la religion hellénique par la philosophie n’ait eu qu’un succès éphémère, elle n’en reste pas moins comme un phénomène psychologique curieux, qui montre comment l’état théologique et l’état métaphysique peuvent coexister dans la pensée humaine, et combien la nature même de l’esprit se prête peu à ces formules abstraites et rigides dans lesquelles on prétend l’enfermer. Pendant que les classes populaires gardent les vieilles croyances, cette même société lettrée qui, dans le monde païen, avait à peu près remplacé les dieux de la mythologie par les principes abstraits de la philosophie, y revient dans les derniers jours de sa vieillesse. La philosophie elle-même finit par se perdre dans un mysticisme où les