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fait des êtres divins ? D’abord où le positivisme a-t-il vu, sinon dans la scolastique, qu’aucune grande école de métaphysique ancienne ou moderne ait fait de ces idées des principes distincts des choses elles-mêmes ? On s’est servi des mots qui les expriment, parce qu’il est impossible à la philosophie et même à la science de s’en passer pour se faire entendre. Cause, force, substance, puissance, ne sont point des mots vides de sens ; -ils expriment des concepts de l’entendement qui correspondent eux-mêmes à des réalités. Ces concepts ne deviennent des entités qu’alors qu’on les sépare des choses pour en faire des êtres véritables, comme Aristote le reproche à Platon. En tout cas, si ces abstractions réalisées se retrouvent parfois dans l’histoire de la métaphysique, ce n’en est là que le mauvais côté. Les vrais métaphysiciens ont évité l’écueil, et ont porté l’effort de leurs pensées sur d’autres sujets plus féconds.

Rien qu’à penser à la philosophie grecque, on peut juger combien la définition positiviste de la métaphysique est étroite et superficielle. On y voit, il est vrai, des écoles qui, comme l’éléatisme, en spéculant sur des principes abstraits, parfois sur des abstractions verbales, arrivent à des négations qui défient l’évidence et le sens commun. On en voit d’autres, comme la sophistique, qui jouent sur les mots pour en venir à une thèse de contradiction universelle. On en voit enfin qui, comme le platonisme et le néoplatonisme, confondent les catégories de l’essence et de l’existence, en d’autres termes, de l’idéal et de la réalité, au point de ne plus attribuer l’être véritable qu’aux abstractions de la pensée. Tout cela est l’abus de la spéculation métaphysique. Mais quelle science, quelle philosophie n’a pas eu ses aberrations et ses illusions, au début de ses recherches ? L’esprit grec, subtil et discuteur, même chez ses plus grands et ses plus excellens philosophes, nous a trop souvent montré comment la subtilité dégénère en sophistique, comment le génie de la discussion se perd dans une stérile éristique. Toujours est-il que cette philosophie tout entière, depuis Thalès et Pythagore jusqu’à Plotin et Proclus, n’a jamais entendu séparer la spéculation de la science. Tous les philosophes en renom de l’époque antésocratique appuyaient leurs systèmes d’explication universelle sur des données scientifiques, fort incomplètes sans doute, mais empruntées à l’observation et au calcul. Dans toute cette série d’essais philosophiques plus ou moins heureux, nous voyons des généralisations hâtives, des synthèses prématurées plutôt que des spéculations a priori, ainsi que le prétend l’école positiviste.

Qu’était-ce que l’école de Pythagore, sinon une école de