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détails que l’histoire, entendue comme elle devrait être entendue, n’a ni besoin, ni souci par conséquent, de connaître. Que nous importe, par exemple, la chronique scandaleuse des maîtresses du régent ? ont-elles exercé quelque influence sur les affaires ? l’une d’elles, par hasard, s’est-elle trouvée mêlée à quelque secret d’état ? Si oui, comme ce fut le cas plus tard de Mme de Prie ou de Mme de Pompadour, tous les détails que vous pouvez recueillir et dont vous nous démontrerez l’authenticité, nous nous empresserons d’en faire notre profit ; si non, dispensez-nous de ces anecdotes licencieuses et de ces refrains obscènes qui ne nous apprennent rien, ne nous servent de rien, ni ne nous mènent à rien. Mme de Sabran fut remplacée par Mme de Parabère, qui fut remplacée par Mme d’Averne, qui fut remplacée par Mme de Falaris. Je ne sais si c’est bien l’ordre de leur succession. Mettez donc que Philippe d’Orléans, régent de France, aima les femmes, et comme nous sommes gens vertueux, gens qui prenons

A l’honneur de nos rois un intérêt extrême,


mettez même qu’il les aima trop, et voilà qui est dit, et n’en parlons plus. Mais l’histoire des mœurs ? dira-t-on. Comme si nous ne savions pas que la cour est la cour, que les hommes sont les hommes, que les vicieux mourront, mais jamais le vice, que les ambitions inavouables et les amours vénales sont de tous les temps, et que du haut en bas de l’échelle sociale il n’y a de différence que la manière de s’y prendre !

Là-dessus, en fait d’histoire des mœurs, qu’y a-t-il dans vos Chansons que vous ne retrouviez tout au long dans les Mémoires ou les Correspondances ? Ouvrez le recueil de M. Raunié. Pas une pièce qu’il ne soit obligé d’annoter et de commenter. Pas une allusion qu’il n’ait à préciser par quelque renseignement tiré des Mémoires de Saint-Simon, ou du Journal de Dangeau, des Lettres de la Palatine ou du Journal de Barbier. A quoi bon, disions-nous, publier des textes anonymes ? nous disons maintenant : à quoi bon publier des textes obscurs, qui ne peuvent être éclairés que de la lumière qu’on emprunte à des textes publiés déjà depuis longtemps ? C’est exactement comme si pour éclairer le compte-rendu d’un procès criminel on s’avisait d’en appeler à la complainte qu’en ont déduite les faiseurs populaires. Vous ne comprenez pas tel récit des Mémoires de Saint-Simon ou du Journal de Dangeau ; certaines circonstances vous échappent, quelques points demeurent douteux, quelques autres s’enfoncent dans l’épaisseur de l’ombre ? Fort bien, nous arrivons à votre secours, et ce témoignage d’un acteur ou d’un témoin des événemens, ce récit d’un écrivain qui fait profession d’écrire pour la postérité, cette affirmation d’un homme qui tenait état dans le monde, et dont vous pouvez aisément contrôler