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On sait que les avertissemens donnés, loin d’être écoutés, furent à peine compris ; il ne doit pas moins rejaillir quelque gloire sur l’héroïque capitaine qui vainquit à Nézib, de la présence dans le camp ennemi d’un pareil conseiller.

Si la politique française a jamais été excusable dans ses méprises, ce fut assurément le jour où elle crut avoir trouvé dans le réformateur de l’Égypte le régénérateur de cet empire caduc dont elle était la seule à ne pas convoiter les dépouilles. Tout tendait, en effet, à égarer son jugement : dans Alexandrie, le spectacle d’une activité sans égale, sur les champs de bataille, une succession si rapide de triomphes que le monde n’avait rien vu de pareil depuis le temps des conquêtes d’Alexandre. Au mois d’octobre 1831, l’armée d’Ibrahim, rassemblée sur les confins de l’Égypte, se met en mouvement ; le 27 novembre, elle est sous les murs de Saint-Jean d’Acre ; le 27 mai 1832, Acre est emportée. Les portes de Damas s’ouvrent le 16 juin ; le 17 juillet, Alep devient le prix de la victoire de Homs. La vallée de l’Oronte est désormais une vallée égyptienne ; la Syrie tout entière appartient au pacha du Caire. Où les Turcs vont-ils se poster pour opposer une digue au torrent qui a renversé jusqu’ici tous les obstacles ? Leurs troupes se réunissent dans la plaine d’Issus, entre Adana, Payas et Alexandrette. A l’exemple d’Alexandre revenant de Myriandre, Ibrahim franchit les Pyles amaniques. Du col de Beylan enlevé avec une suprême vigueur, il descend dans la plaine et n’y rencontre plus que des fuyards. Le 11 août, il se remet en marche sur Adana. Les Pyles ciliciennes ne l’arrêteront pas mieux que les Pyles amaniques ; dès les premiers jours d’octobre, Ibrahim a pris pied sur le plateau de l’Asie-Mineure. C’est de Koniah que Cyrus le Jeune s’est porté dans les plaines de la Cilicie ; c’est à Koniah que le fils de Méhémet-Ali, le 18 novembre, établit son camp.

Pendant la guerre de l’indépendance hellénique, un seul nom a grandi à côté de celui d’Ibrahim ; Reschid-Méhémet se montra dans l’Attique l’émule du farouche conquérant de la Morée. Le divan rappelle en toute hâte Reschid occupé à soumettre les Albanais ; il lui donne une armée nouvelle, la grande armée d’Anatolie. Le 3 novembre, Reschid traverse le Bosphore ; dès le 18 décembre, les coureurs des deux armées préludent au choc décisif qui s’annonce par ces escarmouches. Les Turcs peuvent mettre en ligne 53,000 hommes et 93 pièces d’artillerie ; les Égyptiens ne leur opposeront que 15,000 hommes et 36 pièces. Quelle rude campagne que cette campagne d’hiver, sur un sol nu et dévasté, où règne un froid de 14 degrés centigrades ! Croirait-on bien que ces soldats qui bivouaquent sans tentes, sans manteaux, par une telle