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arrêtez, vos sujets passeront sur vos cadavres mutilés. Mais vous voici parvenus au terme. Vous allez sans doute recueillir le fruit de votre orgueilleuse servilité ; non. Vous avez vaincu avec l’aide de la multitude, il faut maintenant subir son joug déshonorant[1]. »

Il y a justice à associer le souvenir de celui qui tenait un si fier langage aux noms de ceux qui, n’ayant jamais considéré la liberté comme un privilège, n’hésitent pas à rompre aujourd’hui avec le gros de leur parti afin de la réclamer hautement, à nos côtés, comme un bien inaliénable, appartenant à tous. On ne compte pas encore, il est vrai, beaucoup d’enrôlés sous cette bannière. Plusieurs l’ont désertée que l’on aurait cru disposés à la défendre. Il en coûte tant, même aux plus indépendans, pour désobéir à la consigne longtemps suivie et pour secouer le joug longtemps porté ? Mais patience, d’autres viendront combler les vides ; les recrues ne manqueront pas, en nos temps modernes, décidées à soutenir la cause du droit momentanément méconnu et injustement sacrifié. Elles lui arriveront même de tous côtés, car cette cause est celle de l’avenir, et tôt ou tard quand elle aura triomphé, tout le monde voudra l’avoir servie. Cependant quelques-uns ont succombé pendant la lutte. C’est pourquoi, tandis qu’elle dure encore, il ne suffit pas d’honorer, ceux qui, en livrant en ce moment les derniers combats, portent résolument le poids et la chaleur du jour : il convient aussi d’ensevelir pieusement nos morts, et nul, plus que celui dont je vais essayer d’esquisser la vie, n’a mérité cet hommage.


I

Pierre Lanfrey est né à Chambéry le 26 octobre 1828. D’anciens papiers gardés avec soin par les siens, mais dont pour son compte il n’a jamais beaucoup parlé, semblent prouver qu’au XVe siècle sa famille était déjà établie en Savoie. Un titre latin du 14 avril 1439 porte quittance, au nom du duc de Savoie, de certains droits acquittés par noble Claude Lanfred (a nobili Claudio Lanfredi), demeurant à Aix. Plus tard, elle se transportait dans le Dauphiné, et, sous le règne de Louis XIII, des lettres de noblesse données à Saint-Germain-en-Laye, à un sieur Pierre-François de Lanfrey, en novembre 1638, étaient enregistrées par arrêt de la chambre des comptes du Dauphiné, à la date du 11 février 1644. Les branches de cette famille ont fourni, à la fois, de pieux serviteurs à l’église et de vaillans soldats, non-seulement à la monarchie des Bourbons, mais à la plupart des dynasties européennes. Un de ses membres, qui avait embrassé l’état ecclésiastique, professeur de théologie à

  1. Essai sur la révolution française.