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Peu de temps après, la guerre éclata entre la France et l’Angleterre, à l’occasion de l’insurrection des colonies anglaises de l’Amérique du Nord. Ce fut une circonstance heureuse pour l’Irlande. La France, sous Louis XVI, avait une belle marine : elle pouvait tenter un débarquement avec certaines chances de succès. En Angleterre, on était fort inquiet. Grattan comprit que, pour tirer parti de cette situation, il fallait avant tout rassurer le gouvernement anglais sur la fidélité de l’Irlande. Il fut l’un des promoteurs d’une vaste organisation de volontaires irlandais destinée à lutter, s’il y avait lieu, contre une invasion française. Cette attitude, de la part de Grattan, n’était pas simplement le résultat d’une tactique. Il était sincèrement convaincu que l’Irlande n’avait aucun intérêt à se séparer de l’Angleterre. Il ne désirait pour son pays que la liberté politique et l’égalité religieuse, Ses efforts ne furent pas complètement stériles. Un bill voté sur sa proposition apporta un premier adoucissement au sort des catholiques. Il remporta un autre succès moins durable et peut-être moins utile. Il obtint, en 1782, sous le ministère libéral de lord Rockingham, l’indépendance législative du parlement irlandais.

En 1794, Grattan avait près de cinquante ans. Il occupait encore la première place dans le parlement de Dublin, aussi bien par l’éclat de son talent que par le souvenir de ses anciens services. Toutefois sa modération ne plaisait pas à la fraction la plus ardente du parti libéral, qui avait pris pour chef George Ponsonby. Elle déplaisait bien davantage encore aux meneurs de l’association des Irlandais-Unis, qui n’attendaient qu’une occasion favorable pour une insurrection générale.

Pitt, qui venait de rallier à sa politique une partie des whigs anglais, aurait voulu arriver en Irlande à un résultat analogue. Il attachait surtout une grande importance à l’appui de Grattan. Il se fit mettre en rapport’ avec le grand orateur irlandais. Le duc de Portland donna un dîner où le premier ministre et le chef de l’opposition irlandaise se rencontrèrent. Peu de jours après, Grattan reçut un billet fort courtois de Pitt, qui l’invitait à venir causer avec lui des affaires d’Irlande. Ces pourparlers n’aboutirent pas. Grattan ne trouvait pas suffisant le remplacement du lord-lieutenant : il demandait le rappel du chancelier Fitzgibbon. Il voulait en outre être assuré de l’appui du gouvernement pour les nouvelles mesures qu’il comptait proposer en faveur des catholiques ; Pitt ne crut pas pouvoir aller aussi loin. Il craignait de s’aliéner quelques-uns de ses plus anciens amis ; il craignait surtout de mécontenter le roi George III, dont il connaissait les idées étroites et intolérantes. Aussi ne montra-t-il pas dans cette affaire la décision qui lui était