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Malheureusement il entrait beaucoup d’arbitraire dans le choix des personnes à indemniser et dans la fixation du chiffre des indemnités. C’est ce que voulait Castlereagh, qui voyait là un moyen détourné d’acheter des voix, dans les deux chambres du parlement irlandais, en faveur de la mesure projetée. Un million de livres sterling y passa. Quelques-uns des personnages les plus considérables de l’Irlande mirent leur vote et leur influence aux enchères. Castlereagh se chargea de débattre les conditions de ces tristes marchés. Il le fit avec un imperturbable sang-froid. Lord Cornwallis, bien plus vieux que lui cependant, était moins blasé. « Ce honteux marchandage me soulève le cœur, écrivait-il à un de ses amis. »

Ce travail préparatoire était terminé lorsque s’ouvrit la session de 1800. Pitt tenait d’autant plus à son projet d’union que le coup d’état du 18 brumaire venait d’avoir lieu en France et que le premier consul pouvait reprendre, avec plus de chances de succès que le directoire, le projet d’une descente en Irlande. Il fallait donc à tout prix enchaîner étroitement ce malheureux pays à l’Angleterre. Dès le premier jour de la session, les partisans et les adversaires de l’union voulurent se compter, à propos de la discussion de l’adresse. Pour cette lutte suprême, Grattan était sorti de sa retraite et s’était fait élire député du bourg de Wicklow. C’était son œuvre qu’on allait détruire : il la défendit avec la dernière énergie. Le chancelier de l’échiquier, Isaac Corry, lui répondit. L’éloquence de l’orateur du gouvernement n’aurait peut-être pas suffi pour enlever le vote, mais les argumens plus persuasifs de Castlereagh avaient produit leur effet. Un amendement blâmant le projet d’union fut repoussé par 138 voix contre 96.

Sûr désormais de la majorité, le gouvernement ne perdit pas de temps pour convertir en loi son projet. Dès le 5 février, Castlereagh, le véritable triomphateur du jour, soumit à la chambre des communes d’Irlande une série de résolutions contenant les bases du futur acte d’union. Cent députés étaient attribués à l’Irlande dans le futur parlement du royaume-uni. Quant à la pairie irlandaise, elle devait être représentée dans la chambre des lords par quatre pairs ecclésiastiques et vingt-huit pairs laïques. Les pairs ecclésiastiques étaient désignés par un système de rotation calculé de telle manière qu’il y eût toujours dans la chambre des lords un archevêque et trois évêques irlandais. Quant aux pairs laïques, ils étaient élus à vie par leurs collègues. La couronne conservait le droit de créer de nouvelles pairies irlandaises, à raison d’une par trois extinctions. Le parlement irlandais étant supprimé, ces pairies ne constituaient plus que des distinctions purement honorifiques. Quelle serait donc la situation des pairs d’Irlande qui ne seraient