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présidaient aux élections. L’entrée de Castjereagh dans la chambre des communes coûta, dit-on, à son père, 30,000 livres sterling. Grattan lui-même, l’honnête et loyal Grattan, pour reparaître dans le parlement et combattre l’acte d’union, dut acheter à prix d’argent le bourg de Wicklow. Cette assemblée, ainsi élue, était travaillée par toute sorte de brigues et de corruptions. Le parlement anglais était depuis longtemps à peu près complètement à l’abri du trafic des votes lorsque la moitié des pairs et des députés de Dublin débattaient avec Castlereagh le tarif de leur conscience politique.

Les patriotes irlandais, est-il besoin de le dire ? ne pouvaient envisager la question du même œil que nous. Pour eux, en dépit de ses vices, de sa servilité envers le pouvoir, de son intolérance à l’égard des catholiques, le parlement de Dublin restait le symbole de la patrie vaincue. Sa suppression fut considérée comme une suprême défaite et une suprême humiliation. Depuis cette époque, tout homme politique, tout agitateur qui s’est donné pour but le rétablissement de l’autonomie législative de l’Irlande, le rappel de l’acte d’union, a trouvé pour le suivre un parti plus ou moins nombreux, mais ardent et convaincu. Sous O’Connell, le mot d’ordre de ce parti était le repeal ; aujourd’hui c’est le home rule. L’étiquette seule est changée ; la cause est la même. Pourtant, sous l’empire de l’acte d’union, la condition matérielle et morale de l’Irlande s’est améliorée. Les catholiques ont été émancipés ; les fermiers ont été protégés contre les abus de pouvoir de certains propriétaires. Des Irlandais illustres ont siégé dans les chambres anglaises, ont dirigé les conseils de la couronne. Il n’importe : le peuple irlandais conserve toujours le souvenir de son parlement national ; il entend toujours l’écho des voix généreuses qui honorèrent, à certains jours, cette triste assemblée. Il semble qu’on lui ait volé ses orateurs en les faisant entrer dans le parlement du royaume-uni, comme il semble qu’on lui ait volé les cendres de Grattan en les ensevelissant à Westminster.


EDOUARD HERVE.