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calcaire se salpêtre peu à peu ; une sorte de mousse envahit ces beaux dessins et les couvrira bientôt tout à fait. Le sarcophage sert d’enveloppe à la seconde partie du monument, qui est en granit noir. Le mort, enveloppé de ses bandelettes, est couché sur le lit funèbre ; près de lui, son âme, sous la forme d’un épervier à tête humaine, veille sur le cadavre, attendant le jour promis de sa résurrection. Ce groupe est d’une mélancolie et d’une tendresse charmantes. La figure du mort a une froideur, une rigidité, une impassibilité réellement cadavériques ; celle de l’âme, au contraire, est empreinte d’une expression d’anxiété dont il est impossible de n’être pas vivement touché. On dirait un ami attendant le réveil d’un ami avec une résignation pleine de confiance et de sollicitude. L’âme a les yeux fixés sur ceux de la momie, elle étend ses deux petites mains sur son cœur d’un geste doux, quoique pressant. C’est, en effet, par le cœur que la vie doit rentrer dans ce corps inanimé ; dès qu’il commencera à battre de nouveau, l’âme, qui en a été si longtemps exilée et qui brûle d’y rentrer, pourra s’y glisser encore pour y commencer une seconde et plus heureuse existence. Nous trouvons là une traduction ingénieuse de l’idée que les Égyptiens se faisaient de la mort. Ils étaient persuadés que les corps reviendraient à la vie et que les âmes qui les avaient animées seraient encore une fois unies à eux. Le cœur devait renaître le premier. C’est pour cela qu’ils enlevaient le cœur de leurs momies et le remplaçaient par un scarabée, emblème d’immortalité. La petite âme du musée de Boulaq ne doute pas un instant de la vérité des promesses de la religion égyptienne ; il y a des siècles qu’elle est là, les yeux dans les yeux du corps qu’elle aime et qui n’est plus qu’une masse inerte, la main sur l’emplacement vide de son cœur, attentive au moindre bruit, au plus léger mouvement, épiant l’heure de la résurrection annoncée, témoin muet de cette invincible espérance qui, depuis que la mort fauche les générations humaines, anime invariablement ceux qui restent en présence des dépouilles de ceux qui s’en vont !


II

Je m’attarde aux détails. Comme je l’ai dit cependant, toute la partie du musée dont je viens de parler n’offre que l’intérêt secondaire des collections du même genre qui existent en Europe. Mais le musée de Boulaq n’a pas été fait pour amuser, distraire et instruire les curieux. Son but est plus élevé. C’est un musée organisé pour servir pratiquement à l’égyptologie, un musée d’études destiné particulièrement aux savans ou à ceux qui veulent le devenir, un musée susceptible d’être le centre et l’objectif de travaux qui