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est éternelle et sans commencement ; ce qui a été créé, c’est le monde qu’elle a servi à former. Aussi les dieux sont-ils comme elle, selon les attributs sous lesquels on les veut considérer, tantôt s’engendrant eux-mêmes, à la fois leur propre père et leur propre fils, tantôt venus au monde et fils d’autres dieux, ce qui établit entre eux une distinction profonde. Le monothéisme n’existerait donc qu’autant qu’on voudrait considérer l’univers comme Dieu lui-même, ou plutôt c’est le panthéisme qui est la base sur laquelle s’élève tout l’édifice religieux de l’ancienne Égypte[1]. »

On ne doit pas s’étonner de cette conclusion à laquelle ses savans travaux ont conduit M. Mariette. Il aurait été surprenant que les anciens Égyptiens eussent trouvé le monothéisme dans les instincts de leur esprit et de leur cœur. Nous avons déjà dit, en parlant de leur art, quel empire la réalité matérielle exerçait sur leur imagination. Tout devait se tenir dans ces êtres peu compliqués ; la pensée religieuse devait subir en eux les mêmes inspirations que la pensée artistique. Il était donc inévitable que leur religion fût purement physique, qu’elle se bornât à traduire et à diviniser les manifestations diverses de la puissante et brillante nature qui les entourait : le mouvement régulier du soleil, le retour invariable des saisons, l’inépuisable rajeunissement de la terre ne se dépouillant de ses fruits que pour en porter aussitôt de nouveaux. Lorsqu’on cherche à se représenter quelle était l’existence des anciens habitans de l’Égypte, on s’explique encore plus qu’ils eussent quelque peine à se séparer du monde et à adorer autre chose que leurs sensations divinisées. Le phénomène le plus constant de l’histoire égyptienne est l’affaiblissement rapide des races qui se sont tour à tour établies dans cet admirable, mais funeste pays ; aucune n’a pu résister à l’influence délétère de son climat ; toutes s’y sont peu à peu amollies, y ont dégénéré peu à peu, comme le font également en quelques récoltes la plupart des plantes étrangères qu’on essaie d’introduire sur les bords du Nil. Seule la race égyptienne y a conservé toute sa vigueur ; elle est aujourd’hui ce qu’elle était à l’époque de la construction des Pyramides et des premiers tableaux qui nous ont livré ses traits impérissables. Comment s’était formée cette race douée d’une résistance que nulle autre n’a possédée ? On l’ignore, et peut-être, reculant toujours les limites de l’histoire, doit-on croire qu’il a fallu essayer tour à tour sur la terre d’Égypte des races innombrables avant que des débris persistans de chacune d’elles se formât une race unique supérieurement douée contre les difficultés de l’existence.

  1. Dendérah, description générale du temple de la ville, par M. Auguste Mariette. Avant-propos.