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et le peu de développement des hanches. Les habitans de San, de Matarieh, de Menzaleh et des autres villages environnans ont un aspect tout différent et dès le premier abord dépaysent en quelque sorte l’observateur. Ils sont de haute taille, quoique trapus ; leur dos est toujours un peu voûté, et ce qui les fait remarquer avant tout, c’est la robuste construction de leurs jambes. Quant à la tête, elle accuse un type sémitique prononcé… Loin de sembler étrange, le groupe de San apparaît donc, au sein des ruines où il a été trouvé, comme dans son véritable milieu. Ce sont les mêmes hommes que vous avez vus dans votre route, que vous voyez en quelque sorte sculptés en granit. Les uns et les autres arrivent à vous, les mains pleines de poissons et de gibier sauvage, et autour de leurs poignets s’enlacent, comme d’épais bracelets, les tiges des nénuphars[1]. »

Les monumens des Hycsos nous donnent donc un curieux spécimen non-seulement de l’art, mais encore de l’ethnologie égyptienne. Ce sont de plus des documens de premier ordre au moyen desquels on finira sans doute, lorsque les fouilles de Tanis en auront fait connaître un plus grand nombre, par reconstituer entièrement l’histoire de l’invasion des Hycsos. On s’apercevra peut-être alors que cette invasion a ressemblé à toutes celles que l’Égypte a subies depuis les temps les plus reculés jusqu’à la conquête arabe et française. C’est une sorte de fatalité pour ce beau, mais trop faible pays, de n’opposer qu’une résistance décousue, sans énergie, à ceux qui se jettent hardiment sur son sol. Les Hycsos n’ont pas eu plus de peine à l’envahir que les Arabes entrant sans coup férir à Babylone, ou que Napoléon Ier détruisant en une seule bataille la puissance des mameluks. Mais de cette facilité de conquête résulte une douceur particulière dans la manière de gouverner des conquérans. Quant au peuple conquis, comptant sur son climat, sur ses mœurs, sur l’influence constante de son pays pour lui assurer une revanche plus ou moins prochaine, mais certaine, il n’hésite pas à se courber sous ses maîtres, à leur apprendre ses arts, à les façonner à sa civilisation. De même que les Égyptiens de nos jours servent les Turcs, les Égyptiens d’autrefois servaient les pasteurs, attendant en repos l’heure inévitable de la délivrance. La lutte pour l’indépendance commença enfin ; elle fut longue et sanglante : pendant plus de cent cinquante ans, elle couvrit le pays de ruines. Peut-être les Égyptiens n’en seraient-ils jamais venus à bout sans alliés, mais leur chef Ahmès eut l’heureuse inspiration d’appeler à

  1. Deuxième lettre de M. Mariette à M. de Rougé sur les fouilles de Tanis (Revue archéologique, 1862, 2e semestre).