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pour le soldat turc, et en général pour tous les Turcs qui ne sont rien et qui réalisent quelquefois la perfection de l’humaine vertu. En revanche, ils professent des sentimens fort différens à l’égard de cette jeunesse dorée de Constantinople dans laquelle se recrutent d’ordinaire les services de l’état ; ils flétrissent de leurs mépris ceux qu’on appelle les effendis de Stamboul, « ces dix mille qui ont droit à toutes les places, » cette oligarchie corrompue qui tient en régie l’empire ottoman et qui s’entend comme personne à tondre les moutons en les écorchant, à presser les citrons et à faire périr les citronniers, à faire le vide dans les coffres-forts et à convertir les champs en friches, joignant les inventions subtiles du renard aux serres crochues et aux procédés sommaires du vautour. Le Punch racontait l’autre jour qu’un Anglais, conversant avec une charmante Américaine qui avait beaucoup voyagé, lui demanda ou elle avait rencontré les hommes les mieux élevés et les plus aimables ; elle répondit : « Dans l’aristocratie anglaise. » Chatouillé dans son amour-propre national, l’Anglais lui demanda ensuite où elle avait trouvé les hommes les plus déplaisans et les butors les plus accomplis ; elle répondit également : « Dans l’aristocratie anglaise. » On en pourrait dire autant de ce pauvre peuple turc, qui allie les plus belles vertus aux vices les plus déplorables. Le corps de la nation est robuste et sain ; mais quand un corps ne réussit pas à assainir sa tête, il faut bien qu’il partage les fâcheuses destinées de cette tête perverse et maudite, qui refuse de se laisser guérir.

Les voyageurs s’accordent aussi à reconnaître que de tous les peuples qui habitent l’Orient le plus perfectible, le plus apte à la civilisation, celui qui a l’esprit le plus actif et partant le plus d’avenir est l’Hellène. On a dit que le Turc comme le Magyar a l’instinct de la politique, que le Bulgare s’entend à l’agriculture, à l’élève du bétail et au petit commerce, que le Juif et l’Arménien ont le génie de la banque, que l’Albanais est né pour se promener dans la montagne un fusil sur l’épaule et sa pipe à la bouche, mais que le Grec est né pour tout faire et tout apprendre. Cependant on a dit aussi que le Grec qui ne se faisait pas négociant ou marin manquait sa vocation, et personne ne peut nier que la Grèce ne fournisse à l’Europe quelques-uns de ses plus habiles négocians, en même temps qu’elle produit les plus admirables marins. Mais le caractère distinctif de ces marins et de ces négocians est qu’ils ont pour la plupart la passion de s’instruire, et c’est là ce qui fait leur originalité au milieu de toutes ces races à demi barbares que le Turc a gouvernées après Byzance. Si Athènes n’est plus une grande école d’art et de philosophie, Athènes est une ruche qui envoie dans tout l’empire ottoman comme un essaim d’institutrices et d’instituteurs, chargés de répandre sur tous les rivages les souvenirs et les espérances de la Grèce. La propagande que font ces instituteurs a d’autant plus d’effet