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plaisir de vanité qu’elle en retire. Bien que la France, qui possède l’Algérie, soit tenue de ne pas se brouiller avec Mahomet, elle n’a pas hésité à prendre parti pour la Grèce ; une fois encore ses généreuses sympathies ont prévalu sur son intérêt. Le sultan n’osera pas se commettre avec la France. Qu’elle se charge d’occuper l’Albanie, il lui suffira d’envoyer et de débarquer une simple division. A vrai dire, il lui en coûtera de 30 à 40 millions ; mais n’a-t-elle pas déclaré depuis longtemps qu’elle est assez riche pour payer sa gloire ? — Parmi ces diplomates avisés, quelques-uns se flattaient du secret espoir que les Albanais ne seraient pas commodes à réduire, que l’occupant aurait à se débattre avec de grosses difficultés, avec des accidens imprévus ; Il y a sur le Pinde et ailleurs des fourrés épineux où l’on reste pris malgré soi ; on y entre difficilement, il est plus difficile encore d’en sortir. Le gouvernement français a trompé ces espérances et déjoué ces calculs en déclinant résolument l’honneur qu’on voulait bien lui conférer. Il a répondu à l’Europe qu’il se prêterait volontiers à une action commune, mais que si chers que lui fussent les Grecs, il ne se chargeait point de travailler lui tout seul à leur bonheur, qu’il entendait réserver ses soldats et ses millions pour quelque affaire où son intérêt serait visiblement engagé. « N’entreprends jamais dans la république plus que tu ne peux persuader, » disait Cicéron. Le gouvernement français a désespéré de faire comprendre à la France qu’il y allait de son honneur et de son salut d’en découdre avec les Turcs et des Albanais pour procurer Janina à la Grèce.

N’ayant réussi à persuader ni la Turquie ni la France, que fera la diplomatie européenne ? Elle vient d’adresser une nouvelle note au sultan ; espérons que cette note aura plus de succès que la première. S’il en était autrement, les gouvernemens se décideront-ils, coûte que coûte, à recourir aux voies de fait ; ou bien dira-t-on simplement à la Grèce : « Nous vous faisons présent de la Thessalie et de l’Épire, mais à la condition que vous vous chargerez d’arracher lambeaux par lambeaux ces deux provinces aux Turcs, aux Albanais, à la ligue de Prizrend, aux Guègues et aux Tosques. C’est un précieux rayon de miel que nous vous donnons, allez vous-mêmes le chercher dans la ruche, et que Dieu vous protège contre les abeilles liguées avec les guêpes et les frelons ! » Qu’en penserait la Grèce ? — « Nous croyons, a dit un publiciste qui nous parait bien informé, qu’elle ne sortirait pas victorieuse de cette lutte. Mais supposons qu’elle parvienne à briser la résistance albanaise et à établir sa frontière sur le Kalamas, dans quel état trouvera-t-elle ce pays ? Nous savons tous aujourd’hui comment la guerre se fait entre les peuples de la péninsule des Balkans. Les Albanais ravageront toute la partie grecque de la province ; les Grecs, les volontaires, sinon l’armée, en ravageront toute la partie albanaise, et au bout de compte, il