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attributs de Dieu, nous avons cependant le devoir de croire qu’il a tels et tels attributs. Mais cette nouvelle thèse est aussi insoutenable que la précédente. On peut en effet répondre, avec M. Spencer : — Le devoir n’exige de nous ni l’affirmation ni la négation de ce que nous ne savons pas. Notre devoir veut que nous nous soumettions avec humilité aux limites de notre intelligence et que nous ne nous révoltions pas contre elles. — Admettons cependant que l’absolu ait quelque détermination, quelque attribut auquel on puisse croire et qui fonde pour l’homme l’obligation, d’obéir à ses lois ; quel sera cet attribut ? Il en est un que les théologiens et les métaphysiciens ne manquent jamais de lui accorder : la puissance ; alors même qu’ils prétendent ne lui rien attribuer, c’est au fond la puissance qu’ils lui attribuent ; absolu est pour eux synonyme de puissance première et infinie. Ainsi, les mêmes philosophes ou théosophes qui prétendent que prêter à Dieu une bonté et une justice du genre des nôtres serait l’humaniser, n’hésitent jamais à lui prêter l’omnipotence ou la volonté absolue, comme s’il n’y avait plus là aucun anthropomorphisme ! C’est qu’ils ont toujours besoin de la puissance divine pour fonder notre obligation d’obéir à Dieu, tandis que la bonté et la justice divines sont inconciliables avec les dogmes qu’ils enseignent. Au reste, cette nouvelle conception de l’absolu ne leur permet pas plus que les précédentes de fonder une morale : ils ne voient pas qu’une volonté toute-puissante est un principe matériel de crainte, non un principe moral d’obligation ; tout en accusant autrui de matérialisme, ils cachent le matérialisme sous leur mysticité. Une puissance absolue peut être physique, elle peut être la matière éternelle, elle peut être le Dieu-Nature de Spinoza ; rien ne prouve que ce soit un absolu moral. Comment donc savoir qu’il existe un Dieu moral, un Dieu bon, un vrai Dieu ? Et s’il existe, comment savoir qu’il a telle ou telle volonté ? Deux réponses sont possibles : ou c’est la conscience morale qui pose l’existence, les attributs et les volontés de Dieu, et alors le cercle vicieux est immédiat ; ou c’est une révélation extérieure, et le cercle, pour être reculé, n’en est pas moins inévitable. Comment, en effet, savoir qu’une révélation a eu lieu ? — Historiquement, dites-vous. — Soit. Comment reconnaître alors qu’elle a été divine, et non par exemple diabolique ? Car le démon aussi, selon les théologiens, a fait des miracles et il en fera de nouveaux à la venue de l’Antéchrist. Vous voilà donc obligés d’invoquer la moralité de la révélation pour en prouver la divinité. Ce n’est pas tout ; comment savoir, sans apporter encore des raisons morales, que cette révélation, même en la supposant divine, est de la part de Dieu une vérité et non un mensonge ? Peut-être s’est-il servi de nous comme d’instrumens pour une œuvre