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de devoir et de liberté, que les ; positivistes rejettent. C’est cette position moyenne entre l’ancienne morale et la nouvelle qu’il importe d’examiner.

Pour procéder méthodiquement, considérons d’abord le rapport des autres sciences avec la métaphysique. On peut et on doit reconnaître avec les positivistes, avec les partisans de la morale indépendante, avec M. Vacherot que la théorie et la pratique des sciences, par exemple de la géométrie, ne changea pas selon les doctrines métaphysiques du savant. Les définitions, les axiomes, les démonstrations de la géométrie expriment certaines relations dans l’étendue et n’enveloppent aucune affirmation sur la nature absolue de l’étendue. Que nous soyons dans l’espace comme dans un milieu extérieur et indépendant de nous, ou au contraire que l’espace soit en nous, que le monde entier, selon la théorie dont nous parlions tout à l’heure, soit contenu dans notre tête, devenue ainsi une réelle immensité où se perd l’immensité des choses, ces opinions ne changent rien ni aux relations visibles des objets dans l’espace apparent, ni leurs relations possibles dans l’espace idéal. Le rapport du myriamètre au mètre sera toujours pour nous le rapport de dix mille à un dans tous les espaces, quelle que soit leur nature absolue, sur laquelle le géomètre en tant que géomètre n’a pas à se prononcer. De même pour la pratique de la géométrie, par exemple pour l’arpentage. Certains géomètres de l’Allemagne contemporaine, grands amateurs de paradoxes, ont supposé un espace réel à deux dimensions et un espace apparent à trois. Si cette hypothèse était réalisée, nous vivrions sur un plan au lieu de vivre dans un solide ; nous aurions de la longueur et de la largeur sans aucune épaisseur, comme les figures d’un tableau : l’arpenteur qui croit se mouvoir en avant serait donc dans l’illusion, comme un personnage de tableau qui, se voyant avancer la jambe, s’imaginerait qu’il sort réellement de son cadre. D’autres géomètres ont fait, comme on le sait encore, la géométrie de l’espace à quatre, cinq, six dimensions, et même celle de l’espace qui aurait un nombre indéfini de dimensions. Voilà des espaces pour tous les goûts, et les métaphysiciens n’ont que l’embarras du choix. Mais l’arpenteur est-il obligé de choisir et d’affirmer l’un ou l’autre de ces espaces ? Nullement. Qu’il sorte ou ne sorte pas du plan où il se meut ou croit se mouvoir, les relations entre les pieux qu’il plante ou croit planter en terre seront toujours les mêmes au point de vue purement géométrique. Il agit au milieu des relations ; son art s’exerce sur des relations ; il vit pour ainsi dire de relations et n’a pas besoin de prendre un parti pour ou contre l’absolu. L’absolu n’entre point dans les données du problème ; il n’est pas en cause : s’il règne, il ne gouverne pas.

Voilà pour ce qui concerne l’objet pensé en géométrie ; passons