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que l’inviolabilité, le devoir et le droit sont eux-mêmes de simples faits de conscience psychologiques, qui n’ont rien de métaphysique. Analysons donc l’idée du devoir, non pour décider si elle est le vrai fondement de la morale, mais uniquement pour savoir si, en l’admettant ou en la rejetant, on admet ou on rejette une idée métaphysique.

Le devoir, tel que l’entendent les partisans mêmes de la morale indépendante, et en particulier M. Vacherot, renferme en premier lieu l’idée d’une fin à atteindre, en second lieu celle d’une activité capable de l’atteindre, et de plus il exprime un certain rapport original entre cette fin et cette activité. Tout d’abord, les partisans de la morale indépendante nous concéderont, puisqu’ils admettent un devoir, que la fin à laquelle il nous commande d’atteindre ne saurait avoir une valeur relative, car nous retomberions alors dans l’inconvénient signalé tout à l’heure. Quand une chose n’a qu’une valeur relative, on n’est tenu de la faire qu’autant qu’on veut atteindre une fin supérieure pour laquelle elle sert de moyen, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on rencontre, soit un fait auquel on s’arrête, soit une fin idéale ayant une valeur absolue. C’est seulement cette fin, s’il y en a une, qu’on peut imposer sans condition et sans restriction : — Tu dois vouloir telle fin non pour une autre, mais pour elle-même. — L’idée de devoir, vraie ou fausse, suppose donc l’idée d’une fin absolue. Dès lors, un premier élément métaphysique ne s’introduit-il pas dans la morale ainsi entendue ? C’est l’absolu que nous imposent, à tort ou à raison ; M. Vacherot, Mme C. Coignet, M. Morin et autres partisans du devoir, et cependant ils croient avoir éliminé de la morale toute notion métaphysique. Kant n’était-il pas plus conséquent avec lui-même quand il appelait le devoir un impératif catégorique, c’est-à-dire un commandement sans condition, un commandement absolu, et qu’il fondait sa morale, bonne ou mauvaise, sur une « métaphysique des mœurs ? » Cette fin inconditionnelle que suppose le devoir, beaucoup de spiritualités, à la suite de Platon, de Malebranche, de Leibniz, l’appellent aussi, soit la perfection, soit le bien infini. Et en effet, disent-ils, si une chose n’est pas parfaite, au moins en son genre, on peut et on doit lui préférer ce qui est plus parfait ; on peut donc se soustraire à l’obligation de la première en vue de la seconde. M. Vacherot dira-t-il que cette idée de perfection n’a rien de métaphysique ? De même, ce qui n’est pas infini, incomparable, inestimable, ne saurait avoir une valeur inconditionnelle, pas plus que la grandeur de la terre, qui devient petitesse par rapport au soleil et immensité par rapport au grain de sable, n’est une grandeur absolue. Dira-t-on encore que l’idée, d’infini n’a rien de métaphysique ?