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cours, ce qui m’arrive assez rarement, c’est là, écrit-il, que je passe presque toutes mes journées enfermé à clé avec mes bûches de bois et mes chers bouquins… Car il faut que je me recueille et me discipline quelque temps avant d’entrer dans cette lice où il faut combattre pour vivre, vaincre pour n’être pas vaincu, et tuer pour ne pas être tué. A Paris, je serais trop dissipé par la vie extérieure. »

A coup sûr, les agitations qui marquèrent en France la fin de l’année 1847 ne laissèrent pas Lanfrey indifférent. Mais ses regards n’étaient pas exclusivement tournés de ce côté. La politique était bien loin de l’avoir absorbé. S’il avait déjà les opinions républicaines d’une notable partie des jeunes gens de cette époque, ces opinions lui plaisaient plutôt par leur côté esthétique. En sa qualité de sujet savoyard du roi de Piémont, il se sentait assez désintéressé dans les luttes qui partageaient alors les Français en deux camps opposés. L’Histoire des Girondins par M. de Lamartine, ce livre dont l’apparition a beaucoup contribué à échauffer l’ardeur révolutionnaire de la génération à laquelle s’adressait l’auteur, l’avait tellement charmé qu’il l’avait apporté avec lui en Savoie pour le lire à sa mère. Mais c’était surtout le brillant éclat de la forme littéraire qui avait eu le don de parler à son imagination. Empêché par son séjour à Grenoble d’assister, au mois de janvier 1848, au banquet de la jeunesse des écoles, il regrette assurément de n’avoir pas l’occasion de « protester à sa manière contre un gouvernement, dont il est, dit-il, excédé. » Ce qui le contrarie surtout, c’est d’être privé de la satisfaction d’entendre les trois ou quatre hommes illustres qui devront y prendre la parole ; car sur cette sorte de manifestation et, sur ceux qui y prennent part, du moins en province, il est enclin à porter un jugement remarquablement sévère pour cette époque et pour son âge. « Je ne te cèlerai point, écrit-il à son ami, que j’abhorre le genre banquet ; je le tolère et je le subis comme une nécessité parce qu’il est à peu près la seule manière de manifester ses opinions coram populo, mais il est loin d’avoir mes sympathies. De tous les charlatans et de tous les déclamateurs, les charlatans et déclamateurs démocratiques sont de beaucoup les plus terribles. Je hais les factieux, ce qui ne veut pas dire que je n’aime pas les grands révolutionnaires. J’appelle factieux ces êtres sans dignité qui, sans avoir seulement raisonné leurs convictions, font de l’opposition entre la poire et le fromage au milieu des fumées du vin, et qui n’injurient que parce qu’ils peuvent injurier sans danger. Ils ont en général de grosses faces réjouies qui jurent avec leurs sombres discours, et sont les ennemis personnels de M. le maire, de M. le préfet, ou de M. le député qui ont refusé de pousser leurs fils. Voilà les gens qui peuplent les banquets (en province). Aussi