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d’habitations couvertes en tuiles par crainte d’incendie. On y peut voir celle du chef des Pavillons-Noirs qui vit là, sans presque jamais en sortir, avec deux cents soldats d’élite ; le reste de ses hommes, au nombre de cinq à six cents, dit-on, habite le village extérieur. Presque tous ont avec eux des femmes annamites, quelques-uns des femmes du Yunnan. A côté de l’enceinte principale, se trouve un blockhaus qui sert de poste de garde.

Le chef des Pavillons-Noirs, Luu-Vinh-Phuoc, ou Lao-Ta-Yen comme on l’appelle encore, est un homme de quarante-cinq ans, petit et malingre. Extrêmement soupçonneux, très difficile à approcher pour d’autres que les familiers les plus intimes, il semble inspirer à tous une terreur profonde. « J’ai vu, ajoute M. de Kergaradec, le fleuve charrier souvent des cadavres de suppliciés, et ces jours-ci encore, il est passé le long de nos jonques un homme et une femme attachés ensemble. » Nous sommes convaincus que trois coups de canon de la plus petite de nos canonnières disperseraient dans toutes les directions ce nid de forbans. Par cet acte, nous ne ferions que rendre au chef des Pavillons-Noirs la monnaie de ses insolences. De quoi pourrait se plaindre Tu-Duc ? Depuis cinquante ans, Lao-kaï n’est plus en son pouvoir. Bien plus, il serait notre obligé, car, la garnison de cette place dispersée, il n’aurait plus à lui payer de solde.


IV

En quittant Lao-kaï, des îles sablonneuses à base de granit émergent du Fleuve-Rouge. La vallée où il court s’élargit, et au rapide de Thac-Khoai, où les grandes jonques sont obligées de s’alléger lorsqu’elles sont trop pesamment chargées, le sondage le plus faible donne un mètre au plus. Après avoir passé le petit poste de Bao-ha, chef-lieu de district, le fleuve présente une série de rapides éloignés les uns les autres de 3 à 4 milles que l’on franchit sans difficulté. Ici, de hautes montagnes enserrent de tous côtés le cours d’eau, et l’on suit un défilé formé par les deux petites chaînes qui s’écartent ensuite au-dessous de Tuân-Quan et vont aboutir à la mer, l’une, celle du nord, dans la province de Quang-yen, l’autre, celle du sud, dans le Thanh-hoa. C’est comme une immense pomme d’arrosoir au centre de laquelle des alluvions successives ont formé le delta du Tonkin.

Le port de Tuen-hia, qui était, en 1871, le lieu de campement des Pavillons-Jaunes, se trouve placé à 110 lis, — 55 kilomètres environ au-dessous de Lao-kaï. Il est aujourd’hui abandonné par eux. Le pays est excessivement sauvage et d’un aspect