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C’est Segrais lui-même disant, dans les conversations et propos recueillis de lui sous le nom de Segraisiana : « La Princesse de Clèves est de Mme de Lafayette, qui a méprisé de répondre à la critique que le père Bouhours en a faite. Zayde, qui a paru sous mon nom, est aussi d’elle. Il est vrai que j’y ai eu quelque part, mais seulement pour la disposition du roman. »

Ajoutons que la critique s’exerce depuis deux siècles sur l’œuvre de Mme de Lafayette : style, idées, sentimens, procédés de composition, choix des titres, ont été l’objet d’études attentives, poursuivies par des hommes appartenant à toutes les écoles littéraires. Tous sont arrivés à cette conclusion, que la Princesse de Clèves contient à l’état de parfait épanouissement les mêmes qualités que l’on rencontre, moins développées, dans les ouvrages de la comtesse dont l’authenticité n’est pas contestée. On n’y découvre point un esprit et des sentimens différens, les traces d’une autre éducation ou d’un autre milieu. C’est un livre qui, loin de rompre l’unité de l’œuvre de l’auteur, contribue à l’établir par son harmonie par faite avec ceux qui l’ont précédé et ceux qui l’ont suivi : on y retrouve toute Mme de Lafayette prise dans son meilleur moment, et rien que Mme de Lafayette. Sainte-Beuve et tout récemment, pour n’en nommer que deux, M. Félix Hémon, dans un travail excellent[1], se sont exprimés dans ce sens. On remarquera, encore que les critiques ont écarté le nom de Segrais par des raisons du même ordre, tirées de la lecture de ses ouvrages authentiques. Sainte-Beuve n’admettait pas qu’il y eût discussion ; il suffisait, selon lui, d’avoir comparé pour être édifié, la Princesse de Clèves étant trop supérieure à tout ce que Segrais a jamais écrit pour permettre d’hésiter.

A des témoignages si précis, si concordans, à des considérations littéraires si probantes, qu’oppose M. Perrero ? Le témoignage de Mme de Lafayette elle-même. Cela semble beaucoup ; au fond, c’est peu de chose.

L’authenticité de la lettre à Lescheraine ne paraît pas contestable ; on peut donc accorder à M. Perrero que, le 13 avril 1678, moins d’un mois après l’apparition de la Princesse de Clèves, publiée chez Barbin le 16 mars de la même année, Mme de Lafayette écrivait à Turin qu’elle n’y était pour rien. Nous ne croyons pas qu’il y ait grand argument à tirer de cette affirmation. Il a toujours été permis de désavouer un ouvrage où personne n’est blessé et qui n’intéresse que le goût, particulièrement lorsque cet ouvrage a du succès et que l’auteur est une femme. Ce sont là de ces petits mensonges condamnés peut-être par la stricte morale, mais pour

  1. Une Enquête littéraire, La Princesse de Clèves et M. Perrero.