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L’entrée en scène de la civilisation européenne donna une nouvelle secousse à l’esprit spéculatif des Hindous. Il ne faut pas oublier que, avec le christianisme, les Anglais ont importé dans l’Inde les arts, les sciences, les méthodes, tout l’héritage littéraire et philosophique de l’Europe. Aussi, quoique le brahmaïsme semble sorti des traditions hindoues par une évolution graduelle et originale, il est facile de retrouver la trace d’influences européennes dans les trois hommes qui personnifient en quelque sorte les phases successives de ce mouvement, — Ram-Mohun-Roy, Debendra-Nath-Tagore et Keshub-Chunder-Sen.


I.

Ram-Mohun-Roy naquit en 1774, à Radhnagar, d’une famille brahmane spécialement vouée au culte de Vishnou. Dès son enfance, il se signala par sa dévotion à l’idole de la maison paternelle. Mais envoyé de bonne heure à l’école musulmane de Patna pour apprendre l’arabe et le persan, il ne se trouva pas impunément en contact avec les influences du monothéisme sémite, et, à peine était-il rentré dans sa famille, qu’il rédigea un mémoire contre les pratiques de l’idolâtrie hindoue. Son père, qui occupait un rang distingué dans le district de Burdwan, jugea prudent de l’éloigner, — peut-être avec l’espoir que les frottemens du monde calmeraient le beau zèle du jeune réformateur. Mais celui-ci ne profita de ses voyages que pour se livrer à des études de théologie comparée, d’abord dans les principaux sanctuaires de l’Inde, puis dans les lamaseries du Thibet, où l’indépendance de ses critiques lui attira même des difficultés avec les sectateurs de Bouddha. Lorsque, après quatre années d’absence, il reparut dans sa ville natale, non-seulement il était définitivement gagné au principe de l’unité divine, mais encore il était décidé à ne reculer devant aucun obstacle pour combattre les superstitions de ses compatriotes.

« Après la mort de mon père en 1803, — écrit-il lui-même dans une lettre ultérieurement publiée par un journal anglais, — j’attaquai plus ouvertement que jamais les partisans de l’idolâtrie. Utilisant l’art de l’impression qui venait de s’introduire dans l’Inde, je dénonçai leurs erreurs dans des ouvrages et des brochures en plusieurs langues. Le terrain sur lequel je me plaçais dans toutes ces controverses était l’opposition, — non pas au brahmanisme, — mais à ses déviations, et je tâchais d’établir que l’idolâtrie des brahmanes était contraire aux pratiques de leurs ancêtres, comme aux antiques préceptes des ouvrages et des autorités qu’ils professaient de révérer et de suivre. » — Il s’était mis courageusement