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une raison de rompre le jeûne, mais que, cette raison donnée, on est excusé du jeûne en effet. »

il est clair que, si Pascal avait donné ces paroles : Celui qui… jusqu’à point obligé, comme les paroles même de Filiutius, il aurait trompé ses Lecteurs ; mais il ne l’a pas fait et il ne pensait pas à le faire. Nous croyons aujourd’hui qu’il l’a fait, et Sainte-Beuve l’a cru, parce que nous lisons la phrase dans des éditions où elle est placée entre guillemets et. accompagnée de l’indication suivante : tome II, traité 27,IIe partie, chapitre VI, numéro 143, tout un appareil qui annonce une citation textuelle. Mais il n’y avait rien de tout cela dans la première édition de la cinquième Provinciale. Pascal n’avait pas prétendu y donner le texte même de Filiutius ; il lui suffisait d’en rendre exactement le sens.

Or, au point de vue du sens, l’exactitude est parfaite, et je ne comprends pas que Sainte-Beuve s’y soit mépris. Il est rigoureusement exact que Filiutius déclare qu’on n’est pas tenu au jeûne si on s’est fatigué de la manière qu’il indique. Il est rigoureusement exact qu’il ajoute, que lors même qu’on se serait fatigué tout exprès pour se dispenser du jeûne, on en serait encore dispensé en effet. Pascal a trouvé cela choquant ; a-t-il eu tort ? Sainte-Beuve nous dit que Filiutius « n’absout pas d’emblée et indistinctement le libertin ; » mais Pascal ne lui a nullement imputé cela. Il ne lui a pas reproché d’approuver le libertinage, mais de rendre une sotte et indécente décision sur le jeûne à propos de libertinage ; il n’a rien dit qui ne fût vrai et qui ne fût bon à dire. Car c’est bien d’ailleurs au libertinage que profite cette décision. On sait assez que le vulgaire dévot respecte bien plus une prescription positive et en quelque sorte matérielle qu’un devoir moral. Si on dit à ces gens-là que l’expédient indiqué par Filiutius, quoique condamnable, ne viole pas pourtant la loi du jeûne, on met leur conscience à l’aise, et ils se croient en règle avec Dieu. Pascal avait, lui, le droit de penser que s’arranger exprès pour ne pouvoir jeûner, c’est bien violer la loi du jeûne. Il n’y a pas d’honnête homme qui ne hausse les épaules à ces subtilités du casuiste, et le chrétien devait encore en être plus blessé que l’honnête homme.

Mais ce qu’il faut surtout remarquer, c’est que la lettre suivante, qui est la sixième, commençait, dans la première édition, par l’avertissement que voici : « Je vous ai dit à la fin de ma dernière lettre que ce bon père jésuite m’avait promis de m’apprendre,.. etc. Il m’en a instruit en effet dans ma seconde visite, dont voici le récit : Je le ferai plus exactement que l’autre ; car j’y portai des tablettes pour marquer les citations des passages, et je fus bien fâché de n’en avoir point apporté dès la première fois. Néanmoins si vous êtes en peine de quelqu’un de ceux que je vous ai cités