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homme de lettres de s’être mis tout à la fois aux prises avec les hommes du pouvoir et avec les dictateurs de son parti.


Tous mes efforts pour écrire dans deux ou trois journaux où je puis le faire sans me déshonorer ont échoué les uns après les autres. C’est dans ces momens-là que l’on s’aperçoit qu’on a des ennemis. Un seul journal (le Courrier du Dimanche) m’est ouvert, mais je n’y puis mettre d’article que très rarement… Il est toutefois question d’en fonder un autre sur des bases beaucoup plus considérables, où l’on me ferait une place honnête et où je n’aurais plus affaire avec un intrigant… Voici deux mois que je passe dans les plus mortels embarras et dans tous les tourmens d’une inquiétude qui ne me laisse pas une minute de repos… On est venu me faire des propositions pour le journal que je vous ai dit devoir se fonder en décembre. Il ne manque plus que l’autorisation du gouvernement, qui nous fait traîner en longueur pour nous décourager de l’entreprise… Vous devinez dans quelle anxiété je vis, attendant sans cesse un lendemain qui ne vient pas, perdant mon temps en allées et venues et dévoré de mille inquiétudes… Je viens de perdre trois mois à attendre le succès de la combinaison d’Haussonville, dont vous avez dû entendre parler… Elle était très sérieuse, mais elle vient d’échouer devant un refus formel du conseil des ministres… Le malheur me poursuit avec un acharnement incroyable, et M. Jules Simon vient de m’écrire que c’était une affaire ratée.


Ce dernier coup porté à l’espérance entretenue par Lanfrey de pouvoir enfin dire son mot sur les événemens du jour dans une feuille qui ne l’obligeait pas à déguiser ou trop atténuer l’expression de ses libres opinions, semble l’avoir jeté dans un profond accès de désespoir. Il se désole, il s’excuse presque auprès de sa mère de s’être lancé dans une carrière « qu’on ne devrait jamais aborder que lorsqu’on a une position indépendante ; mais je puis dire pour ma défense qu’elle m’a choisi, tellement j’étais fait pour elle. » Ce désespoir devient si fort que, dans le courant de l’année 1859, il songe sérieusement à s’engager pour faire campagne en Italie. « La guerre est décidée pour le printemps, et vous savez, écrit-il à sa mère, que j’ai toujours eu un faible pour les batailles. C’est de famille. Avec cela j’ai passionnément désiré de voir l’Italie. Le général Ulloa, qui a défendu Venise en 1848, m’aime beaucoup et sera charmé de veiller à mon avancement qui, dans un corps de volontaires, ne sera ni long ni difficile. J’ai toujours aspiré au double laurier. »

Avec un ami qui recevait habituellement ses confidences, son langage redouble d’impatience et de violente humeur. Il lui parle,