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commissions, celle de rédaction et celle de l’organisation de la police. Quand je lui ai dit que vous étiez malade — Milutine avait la grippe, — il a offert d’aller vous trouver chez vous dans le courant de la semaine prochaine ; lorsque vous pourrez le recevoir, il se permettra de fixer le jour. Il tient, dit-il, à être instruit par vous de la direction des travaux. On dirait qu’il l’ignore ! Faites provision de patience et mettez dans vos idées autant de calme que possible. »

Pour Nicolas Alexèiévitch et pour le statut d’émancipation, la situation ne laissait pas que d’être critique. On en jugeait ainsi en province comme à Pétersbourg[1].

On redoutait un soudain revirement de la volonté impériale. Ces appréhensions étaient heureusement mal fondées. Comme la grande-duchesse Hélène exprimait au souverain sa surprise de la nomination de Panine et ses craintes que les opinions du nouveau président ne fussent guère favorables à la réforme : « Bah ! répondit Alexandre II, vous ne connaissez point Panine, il n’a d’autre opinion que d’exécuter mes ordres. » Le comte en effet se soumit aux ordres du maître ; mais non sans susciter à Milutine de nombreuses difficultés, non sans faire introduire dans les statuts des paysans plusieurs articles peu en harmonie avec les principes de la réforme[2].

La situation de Milutine, en butte depuis des mois aux traits de nombreux et puissans adversaires, pouvait paraître ébranlée. Si ses ennemis s’étaient flattés de le contraindre à la retraite, ils devaient bientôt perdre cette illusion. Tout en donnant aux conservateurs la satisfaction de voir l’un des leurs à la tête de la commission, l’empereur, avant tout désireux d’achever la réforme, était décidé à ne pas laisser écarter du comité l’homme qui contribuait le plus à en avancer les travaux. Dans une soirée, chez la grande-duchesse Hélène, le souverain crut devoir s’en exprimer avec Milutine et

  1. La preuve en est le billet solvant, daté du 20 février 1860, que Milutine recevait de M. Dmitrief, professeur à Moscou.
    « J’entends parler de vous souvent ; votre nom est sur toutes les lèvres, accompagné de mille invectives et d’expressions de haine de la part des vieux (korennikh) propriétaires russes. Il y a peu de temps encore, et sur la violence même de ces invectives, je devinais qu’à Pétersbourg les affaires marchaient bien et je m’en réjouissais fort. Mais il parait que de sombres nuages se rassemblent de nouveau, s’il est vrai que Panine est nommé à la place de Rostovtsef… »
  2. Par un de ces contrastes qu’on ne rencontre guère qu’en Russie, le fils unique du comte Panine fut compromis dans la première agitation nihiliste. Arrêté en 1861 lors des troubles universitaires et gracié à cause de son père, ce jeune homme mourut à vingt-six ans. Sa veuve, issue d’une des meilleures familles de l’empire, a été arrêtée à Kief, en 1879 ou 1880, et internée dans ses terres comme complice de la propagande révolutionnaire.