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l’inviter à demeurer à son poste. Je retrouve le souvenir de ce curieux entretien dans un billet de Nicolas Alexèiévitch à Lanskoï[1] :


« 25 février 1860.

« L’empereur m’a ce soir honoré de quelques paroles bienveillantes ; il s’est d’abord informé de la santé de Votre Excellence et a écouté avec intérêt ce que je tenais de vous… Quant à l’émancipation, Sa Majesté a daigné exprimer le désir que je continuasse à prêter mon concours au nouveau président, et cela dans des termes très flatteurs pour moi. J’ai dit que nous étions tous animés du désir de terminer l’œuvre avec le plus de célérité possible, — que nous rédigions en ce moment un rapport détaillé sur ce qui restait à faire, — que les députés[2] seuls seraient une cause de retard, mais que nous espérions néanmoins finir le tout pour le mois de juillet, si aucun empêchement imprévu ne s’y opposait. L’empereur a terminé la conversation en désignant le mois d’octobre comme le dernier terme de la décision définitive. Je m’empresse de rendre compte à Votre Excellence de cet entretien, qui ne peut que me donner une nouvelle ardeur au travail[3]. »

Sans les entraves et les retards inutilement apportés par le nouveau président, le code émancipateur eût été prêt aussitôt que l’annonçait Milutine. Grâce aux manœuvres des adversaires du projet, les travaux de la commission, presque systématiquement traînés en longueur, devaient encore se prolonger près d’une année entière. On voulait hâter la marche des affaires et en même temps on en confiait la direction à des hommes moins désireux de l’accélérer qu’enclins à y mettre obstacle. Les mois s’écoulaient et les statuts ne s’achevaient point, toutes les instances du ministère de l’intérieur et du souverain lui-même paraissaient inutiles.

« Sa Majesté a appelé Panine ce matin pour lui recommander plus d’activité. Elle se plaint des lenteurs, écrivait Lanskoï à Milutine le 17 septembre. Panine a promis de porter son travail au comité pour le 10 octobre. » — Le mois d’octobre venait, et l’œuvre de la commission, enfin terminée, était soumise à une autre instance, à ce qu’on appelait le haut comité (glavnyi komitet), où elle eût pu

  1. Cette lettre, comme beaucoup de celles de Milutine à Lanskoi et de Lanskoï à Milutine, a été écrite en français.
  2. Délégués élus par les comités provinciaux de la noblesse.
  3. Le bon Lanskoï répondit le lendemain : « Votre billet d’hier m’a fait grand plaisir. La dernière entrevue a été plus satisfaisante que la première. Il parait qu’à présent la glace est rompue. » Allusion sans doute à la première audience de Milutine.