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de ces deux personnages en politique et en religion, il s’attendait à une réponse négative. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque tous deux lui dirent qu’ils n’approuvaient pas la réforme proposée, qu’ils la croyaient très fâcheuse, mais qu’ils ne la considéraient pas comme constituant une violation du serment prêté par sa majesté ! Peu satisfait de la réponse de ses deux conseillers, le roi s’adressa au chancelier, lord Loughborough, dont le caractère lui inspirait moins de confiance, mais chez lequel il espérait trouver plus de complaisance pour ses idées. En cela il ne se trompait point.

Alexandre Wedderburn, lord Loughborough, le premier Écossais qui se soit élevé à la dignité de grand-chancelier d’Angleterre, était un homme d’une intelligence supérieure, mais d’un caractère médiocrement honorable. Sa vie n’avait été qu’une longue suite de palinodies politiques et religieuses. Dans sa jeunesse, il s’était lié, à l’Université d’Edimbourg, avec David Hume, Adam Smith et Robertson, et il avait créé avec leur concours une première Revue d’Edimbourg qui n’eut que deux numéros, mais qui servit de modèle à celle que fondèrent plus tard Jeffrey et Sidney Smith. À cette époque, il ne se posait pas en défenseur ardent de la foi, et dans l’assemblée générale de l’église d’Ecosse, il lui arriva de plaider la cause de son ami Hume, accusé d’irréligion. En politique, on le vit tour à tour tory avec lord Bute, qui l’avait fait entrer dans la chambre des communes, whig avec lord Chatham, démagogue avec Wilkes ; ami de la cour quand elle lui donnait des places, ami du peuple quand il trouvait la cour trop lente à reconnaître et à récompenser son mérite. Avec cela, certaines qualités qui lui faisaient pardonner ses faiblesses par bien des gens, une grande aménité dans les relations privées, une libéralité rare chez un parvenu : ouvrant sa bourse promptement et largement pour soulager les infortunes, homme de goût, lettré et protecteur des lettrés. Après avoir longtemps visé au poste de grand-chancelier, il avait fini par l’atteindre au moment où il n’y comptait plus. On était aux premiers jours de 1793 ; les whigs modérés, effrayés des excès de la révolution française, songeaient à se rapprocher du gouvernement. Wedderburn, par bonheur pour lui, était redevenu whig depuis quelques années : il pouvait donc se rallier. Pitt voulait quelque chose de plus et demandait qu’il amenât avec lui un certain nombre des membres importans du parti. Wedderburn s’y employa activement ; mais les choses ne marchaient pas vite. Le duc de Portland, lord Fitzwilliam, d’autres encore, hésitaient à se séparer de leur vieil ami Fox quand un tragique événement vint précipiter la rupture. La convention nationale prononça la condamnation de Louis XVI. Du même coup, elle brisa le parti libéral en