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précise fut votée contre les associations irlandaises. On trouva moyen de l’éluder comme les précédentes. Les loges orangistes ne disparurent pas. L’association catholique, après s’être dissoute pour la forme, se reconstitua sous couleur de s’occuper uniquement d’œuvres de charité.

Les loges orangistes n’étaient qu’un embarras pour le gouvernement ; l’association catholique pouvait devenir un danger fort sérieux. Elle disposait de fonds considérables, recueillis par voie de souscription volontaire ; elle avait des journaux, des orateurs ; elle publiait des manifestes, organisait des meetings. Enfin elle s’incarnait dans un homme qui était arrivé à exercer sur les catholiques d’Irlande un empire presque absolu. O’Connell était un adversaire d’autant plus redoutable pour le gouvernement anglais qu’il unissait à une rare audace dans les desseins une remarquable prudence dans l’exécution. Avocat consommé, procureur subtil et délié, il se cantonnait soigneusement sur le terrain légal, et rien au monde ne l’en aurait fait sortir. Orateur entraînant, il dominait les masses populaires et savait à son gré les surexciter, les calmer, les enflammer de nouveau, puis les apaiser encore. En 1826, il voulut faire l’essai de son influence dans une élection. Il choisit pour champ de bataille le collège de Waterford, qui passait pour un fief électoral de la famille des Beresford.

Le corps électoral était relativement plus nombreux en Irlande qu’en Angleterre. Dans les deux pays, le droit de suffrage appartenait à tout individu qui possédait en pleine propriété un morceau de terre donnant un revenu d’au moins 40 shillings (50 fr.) Cette législation identique avait produit des résultats différens. En Angleterre, pays de droit d’aînesse et de grande propriété, les petites parcelles de terre ne s’étaient pas multipliées. En Irlande au contraire, à part les grandes familles d’origine anglaise, l’ensemble de la population pratiquait le système de l’égalité des partages. De là une infinie division de la propriété et la constitution d’une véritable démocratie rurale. Pendant longtemps cette démocratie ne se douta pas de sa force ou n’essaya pas d’en user. Les malheureux ne pouvaient pas vivre avec leurs 50 francs de revenu. En même temps qu’ils cultivaient leur petit lopin de terre, il leur fallait se mettre au service du landlord, comme fermiers ou comme ouvriers agricoles. C’est par là qu’on les tenait. Aussi les électeurs à 40 shillings, comme on les appelait, furent-ils pendant longtemps le corps électoral le plus docile que l’on pût trouver. C’étaient les classes moyennes qui luttaient contre le landlord. Les classes inférieures suivaient docilement le mot d’ordre venu du château.

O’Connell changea tout cela. Il révéla leur force aux électeurs à 40 shillings. Par les agens de l’association catholique, par les