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tribunat… Sous le coup de cette mesure, devenu l’objet d’une surveillance menaçante, l’imagination frappée de dangers que sans doute il s’exagérait,.. il donna, en quelque sorte, sa démission d’homme public. Son opposition ne fut plus désormais qu’une conspiration à voix basse couverte par une de ces adhésions de situation qui sont plus explicites qu’aucune profession de foi parce qu’elles parlent toujours. » Comment douter qu’en traçant ce portrait, Lanfrey n’ait songé à désigner les transactions complaisantes, les compromis hasardés, les ménagemens souvent excessifs que plus d’un de ses contemporains, attaché cependant aux idées libérales, apportait près de lui dans la campagne engagée contre le second empire ?

L’étude sur Armand Carrel est de beaucoup celle que Lanfrey a développée avec le plus d’étendue. On devine qu’il a trouvé une secrète satisfaction à analyser le talent de cet écrivain de fière allure, emporté « avant le temps en laissant de lui-même l’idée qu’il était appelé à quelque chose de grand et qu’il n’avait pas donné sa vraie mesure. » On sait qu’il se complaisait à lui être comparé et qu’il a cherché à renouveler dans ses procédés de polémique les traditions de ce journaliste à la parole agressive, au ton hautain, indépendant vis-à-vis de tout le monde, mais surtout à l’égard de ses propres amis, et qui ne regardait pas à rendre parfois justice à ses adversaires. De même que Carrel avait mis un certain amour-propre, peut-être affecté, à ne point trop médire de la restauration, dont il avait apprécié les tendances avec une sorte d’impartialité dédaigneuse, de même, Lanfrey, sans affectation, mais par pure sincérité, n’hésita pas à dénoncer la faute commise, suivant lui, par l’opposition républicaine dans sa lutte implacable contre le gouvernement de juillet. Il est probable qu’un jour, devenus plus calmes et meilleurs juges que ne peuvent l’être encore aujourd’hui les survivans de ces vieilles querelles, des esprits sages arriveront aux mêmes conclusions que Lanfrey ; il n’en est pas moins curieux de les voir sortir de la bouche de ce républicain très convaincu. « La démocratie aurait infailliblement conquis tôt ou tard la majorité en agissant sur l’opinion avec énergie et persévérance. Elle aurait pu arriver ainsi au pouvoir à son tour et par des moyens réguliers. En arborant le drapeau républicain, elle se ferma volontairement cette voie, elle rendit toute transaction impossible. Entre le pouvoir et elle, elle plaça la nécessité d’un coup d’état, la barrière de la guerre civile. Elle mit à la merci des hasards de la force ce qui aurait pu être décidé par un vote. Elle condamna le système de juillet à un exclusivisme et à une immobilité jusque-là, accidentels et désormais indispensables à sa défense. Elle rendit impossible en