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Faut-il convenir que des susceptibilités d’auteur ont un instant projeté de légers nuages bientôt envolés sur cette amitié d’abord contractée dans les pures régions de la littérature qui ne laissent pas toutefois que d’avoir aussi leurs orages ? Quelques années après l’envoi des témoignages de sa brûlante admiration, Lanfrey ayant critiqué, en termes vagues, dans la Revue nationale, à propos d’un ouvrage de M. Garnier-Pagès, les théories politiques de l’ancien maire de Paris, Mme d’Agoult, qui avait écrit, elle aussi, une Histoire de la révolution de 1848, prend pour elle ses critiques et s’en plaint vivement. On s’aperçoit qu’en déplorant un malentendu qu’il ne s’explique pas, en se défendant avec une parfaite sincérité d’un tort qu’il n’a pas eu, Lanfrey, devenu plus cérémonieux, s’il garde l’accent de l’amitié, a perdu la note enthousiaste.

Débuter par l’impétuosité dans l’expression de sa reconnaissance pour les gracieuses amies qui avaient cru pouvoir lui donner sans danger des marques de leur sympathie, telle était sa pratique ordinaire. Si le danger n’existait pas pour elles, il n’en était pas tout à fait de même pour lui, et quand on l’arrêtait court sur la pente, cet acte de raison, raconte une personne qui l’a très bien connu, était facilement transformé par Lanfrey en un casus belli. Il semble que ce soit là ce qui serait advenu à la séduisante personne à laquelle furent adressées les lettres qu’on va lire, et que je m’abstiendrai de nommer, parce que malgré la brillante auréole qui entourait le cercle intime de M. Ary Schœffer, où Lanfrey l’a rencontrée, elle s’est toujours appliquée à dérober sa noble et modeste vie à l’indiscrète curiosité du public.


… Je n’exercerai, madame, aucune représaille contre votre gracieuse malice, féconde en fuites charmantes et en retours imprévus… Je suis et prétends rester votre victime, et ce supplice m’est infiniment doux ; mais ce que je ne souffrirai pas, c’est que vous osiez prendre la défense d’un sexe ennemi du genre humain, en vous donnant l’air de le plaindre comme si vous ne connaissiez pas toute la perversité dont il est doué, vous qui après tout en faites partie !..

… Enfin ! le ciel soit loué ! il y a donc encore des remords en ce monde, et ce n’est pas seulement pour la triste innocence… C’aurait été un joli procédé de ne pas donner de vos nouvelles à un pauvre garçon qui ne passe pas une heure sans penser à vous. Eh bien ! vous me rendez si heureux que je vous pardonne tout, jusqu’aux noires méchancetés dont vous assaisonnez votre lettre dans l’espoir de tempérer mon contentement. Elles-mêmes me sont chères ; je ne les donnerais pas pour tout au monde, et pour ma vengeance, je veux adorer