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de respect au trône, mais que la réalité est bien différente. Avec un peu plus d’attention, ils auraient pu lire dans lord Russell que la désignation des ministres appartient à la chambre basse, et en vérité il ne saurait en être autrement. Que la couronne fît en ce pays usagé de son droit et instituât des ministres que n’admettrait pas la chambre, celle-ci leur infligerait un vote de censure qui en tout pays constitutionnel entraîne leur démission ou des élections nouvelles, si l’on pense que l’opinion publique doit donner raison à la couronne. Après ces élections, la chambre est l’unique arbitre de l’existence du cabinet. Un gouvernement régulier est impossible un seul jour contre la volonté de cette chambre ; en dehors d’elle, il n’y a que les coups d’état.

En Espagne, par suite des vices de l’élection et de l’absence de prestige, la chambre a perdu, entre beaucoup d’autres, cette attribution de désigner les ministres. La succession pacifique et légale des partis au pouvoir devient impossible, parce que le cabinet, maître de la chambre, ne peut qu’exceptionnellement être renversé par elle. Il ne reste aux partis que deux moyens. pour se substituer à celui qui occupe le pouvoir : l’agitation et la force ouverte ou l’appel à la couronne. Le premier, ils en ont usé jusqu’au scandale pendant le pénible règne d’Isabelle II, et le second ne vaut pas mieux. En effet, pour peu que le souverain use de la prérogative que la constitution lui attribue de la façon la plus explicite et veuille distribuer le pouvoir si ardemment ambitionné, si passionnément regretté par tous les partis, il s’expose par cela même aux plus cruels ressentimens. De tous les Espagnols le seul responsable est celui qui, d’après la constitution, ne doit pas l’être, le roi. De là est sortie la révolution de 1868 ; de là viendraient les dangers de l’avenir. Au mois de mars 1879, lorsque le roi fut mis en demeure de nommer un nouveau ministère, toute la responsabilité fut rejetée sur lui sans aucun ménagement.

L’opposition soutenait que les chambres élues sous le régime de la constitution de 1869, qui fixait à trois ans la durée des cortès, ne pouvaient durer davantage. M. Canovas prétendait qu’on devait régler ce point par la constitution de 1876, postérieure à leur élection ; son opinion l’emporta. Il n’en décida pas moins de suspendre, puis de dissoudre les chambres et de présenter sa démission. Mais auparavant il eut soin de préparer le terrain électoral, à tel point que les modérés, qui comptaient pourtant sur la bienveillance de son successeur, se déclaraient vaincus d’avance et n’obtinrent en effet qu’un très petit nombre de sièges. De toute façon, soit que la crise ait eu pour cause un grand besoin de repos chez M. Canovas, prétexte qu’il a allégué lui-même et qui paraît vraisemblable, car