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recettes et les dépenses. M. Gladstone eut facilement raison de cet adversaire. Le vote des nouveaux impôts le garantissait contre tout mécompte, et par surcroît le réveil de l’industrie et la perspective d’une récolte exceptionnellement bonne semblaient lui promettre une amélioration prochaine des recettes publiques et, par suite, de nouveaux moyens d’action et de nouvelles ressources pour le budget de 1881. L’impression produite par ces débats ne pouvait être que très favorable au premier ministre : la résolution et la fertilité d’invention dont il faisait preuve contrastaient avantageusement avec les tâtonnemens et les expédiens des trois dernières années. On se sentait en face d’un homme qui savait vouloir et savait réaliser ce qu’il voulait. La réputation de M. Gladstone comme financier s’en trouva justifiée et accrue.

Trois jours après ce succès, le 30 juillet, M. Gladstone fut pris d’un refroidissement en sortant de la chambre : une pleurésie se déclara. La forte constitution du malade triompha du mal, et tout danger disparut à la condition de s’interdire tout travail et de changer d’air. Comment satisfaire à ces deux conditions sans quitter l’Angleterre, dont M. Gladstone refusait de s’éloigner ? Un riche armateur de Glasgow, M. Donald Currie, mit à la disposition du premier ministre un magnifique navire de 3,600 tonneaux, qu’il venait de faire construire pour desservir le Cap. M. Gladstone s’embarqua avec sa famille à bord du Grantully Castle pour faire le tour de l’Angleterre. On abordait de temps en temps dans un port désigné à l’avance pour que M. Gladstone pût recevoir son courrier et échanger des dépêches avec ses collègues. En l’absence du premier ministre, la direction des débats parlementaires passa entre les mains de lord Hartington, qui s’acquitta de cette tâche à son honneur, mais qui ne pouvait prétendre à exercer sur ses collègues la même autorité que l’illustre chef du cabinet. On s’en aperçut bien vite, non-seulement à un certain ralentissement dans l’expédition des affaires, mais à des écarts de conduite et de langage que la présence de M. Gladstone eût sans doute prévenus. M. Forster ressentait-il trop vivement l’échec qu’il avait subi au début de la session ? éprouvait-il quelque dépit d’avoir à reconnaître de nouveau le droit éventuel de lord Hartington à la première place dans le parti libéral ? toujours est-il que l’irritabilité de son humeur fit naître coup sur coup, pendant la discussion du budget des dépenses, plusieurs incidens regrettables.

L’agitation dont les députés irlandais avaient menacé le gouvernement avait commencé dans plusieurs comtés d’Irlande. La Ligue foncière multipliait les réunions publiques, et les discours les plus violens y étaient prononcés. Dans une de ces réunions, un député, M. Dillon, donna à entendre, par une insinuation très