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ses eaux vives et ses voix de soprano, jaillissantes et jetant épisodiquement sa note italienne au seuil de la sombre action qui s’engage ! Cela, tout le monde l’a remarqué ; mais ce qu’on ne louera jamais trop, c’est l’ordre qui préside à la division des parties du magnifique ensemble. Prenez le rôle de Valentine et voyez dans quelles conditions avantageuses pour la cantatrice il se présente. L’héroïne du terrible drame qui va pendant les trois actes suivans avoir à tenir tête aux plus écrasantes situations, ne nous apparaît qu’au second plan dans l’épisode de Chenonceaux ; quelques lignes de récitatif, une phrase que la tempête du finale couvre de son roulement ; voilà toute l’entrée en matière de ce grand premier rôle, et pendant ce temps la cantatrice étudie l’atmosphère de la salle, observe et tâte son public. S’agit-il d’une débutante, elle s’aguerrit ; d’une Cruvelli ou d’une Krauss, elle se fait la voix, regarde venir le flot qui monte et se trouve lancée in medias res avant que sa responsabilité soit en jeu. J’ai souvent ouï les cantatrices vanter ce trait comme un modèle d’habileté. En fait d’habiletés, Meyerbeer les possédait toutes, les grandes aussi bien que les petites ; il surveillait les coins et les recoins, s’entendait à mettre en valeur les accessoires ; il avait à la fois et le génie et l’œil du maître. Mlle Krauss, absente depuis deux mois, reparaissait ce soir-là dans Valentine. Avec elle, on peut toujours compter sur un progrès. Le public l’a reçue en l’acclamant. Inutile de citer les morceaux : le superbe duo avec Marcel, le quatrième acte tout entier, le trio de la fin, autant d’étapes triomphales. Quel dommage que Meyerbeer n’ait pas connu cette guerrière ! lui qui rêvait des interprétations idéales, il sera mort sans avoir goûté la plénitude du contentement ; encore pourrait-on dire, en ce qui concerne Valentine, que ce rôle avait eu la bonne chance de rencontrer sous les yeux du maître mainte figuration restée illustre : la Falcon, la Devrient, la Grisi, la Cruvelli n’étaient pas les premières venues. Mais ce type de l’Africaine, quelle cantatrice, avant la Krauss, l’avait entrevu ? Pour la plupart, c’était assez de se cuivrer la face et de se couronner de plumes. Elle seule a compris le caractère et l’a rendu dans sa naïveté, dans sa fierté sauvage, appuyant sur la note exotique qui personnifie cette sœur tatouée de Valentine. Meyerbeer, malheureusement, n’est plus là pour écrire quelque nouveau chef-d’œuvre à l’intention de celle qui rend de tels services à son répertoire, et la Krauss aura traversé l’Opéra sans rencontrer un musicien qui lui fasse un rôle digne d’elle. Il faut à la grande artiste une compensation ; qu’on lui donne donc à créer sur notre première scène le Fidelio de Beethoven. Je ne sais, mais cette idée-là ne me semble point de nature à devoir effaroucher M. Vaucorbeil. M. Sellier, dans Florestan, M. Lassai le, dans Pizarre, M. Gailhard dans Rocco, la distribution serait admirable, et pour un intermède chorégraphique, on ferait ce qu’on a fait avec