Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/962

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France, dit-on, est de ne pas laisser périmer son droit de grande puissance, de rester dans le « concert européen, » de ne s’engager qu’avec lui, mais d’aller partout avec lui ! Franchement, ce qu’on décore aujourd’hui du nom de « concert européen » ne semble pas mériter des sacrifices démesurés. S’il ne s’agit que d’aller faire en commun une promenade nautique aux bouches du Cattaro, c’est une assez innocente satisfaction qui a la chance de laisser intact l’accord des puissances. Le jour où se poserait sérieusement la question d’Orient, c’est-à-dire la question de tout un ordre nouveau à créer avec les provinces qui forment aujourd’hui l’empire ottoman, que deviendrait le « concert européen ? » La France n’a sûrement aucune raison de se désintéresser de tout, de se réfugier dans un recueillement frondeur et stérile ; elle n’a non plus aucune raison de se laisser engager à la légère, uniquement pour être avec tout le monde, dans des combinaisons qui n’offrent que des chances de périls sans compensation ou d’agitations sans résultat.

Tout compte fait, au point où en sont les choses européennes, la Russie seule représenterait une politique d’action en Orient, et avec la Russie l’Angleterre conduite par M. Gladstone pourrait aussi, par une combinaison étrange, se prêter à des tentatives, à des mouvemens qui ne seraient pas sans danger. L’Allemagne, de son côté, ne semble pas d’humeur à favoriser ce qui pourrait raviver ou aggraver la crise orientale. L’Autriche, déjà sérieusement engagée par sa position dans la Bosnie et l’Herzégovine, désire encore moins voir les événemens se précipiter et de nouveaux conflits se produire. Naturellement réservée dans sa politique, peu portée aux démonstrations compromettantes, elle est encore plus retenue aujourd’hui par la préoccupation de ses intérêts extérieurs qu’elle tient à sauvegarder et par le sentiment d’une situation intérieure qui ne laisse pas elle-même d’être difficile et délicate. Il y a eu, il est vrai, dans ces derniers temps, en Autriche, un de ces incidens brillans qui font un moment oublier les embarras de la politique. L’empereur François-Joseph a fait un voyage vraiment triomphal en Gallicie. Il a été reçu partout au milieu des ovations enthousiastes et des cortèges éclatans. Nobles et paysans en costume national ont rivalisé d’empressement autour du souverain. Aux harangues qui lui ont été adressées à Cracovie l’empereur a répondu en langue polonaise. C’est un voyage qui a certainement son importance et peut avoir des conséquences heureuses. A Vienne cependant, la situation reste assez obscure, assez laborieuse, et le ministère du comte Taaffe, après un an d’existence, n’est point sans avoir à surmonter bien des obstacles, bien des difficultés intérieures. Le comte Taaffe a voulu résoudre le problème de réconcilier les nationalités en les ramenant toutes pour ainsi dire dans le giron constitutionnel ; il s’est proposé de gouverner en maintenant, l’équilibre entre les races, entre les partis, sans tomber dans le fédéralisme ou dans le centralisme. Il a réussi jusqu’à un certain point ;