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souverain lui-même, que le temps de son retour aux affaires n’était pas encore arrivé, Milutine ne demeurait pas inactif à Saint-Pétersbourg. On vient de le voir par ses lettres. Sans poste officiel, il s’occupait officieusement, pour les ministres qui le lui demandaient, de quelques-unes des plus importantes réformes du règne actuel, et en particulier des zemstvos, ou états provinciaux, dont il avait déjà élaboré le plan et qui lui doivent en partie et leur large mode de recrutement et leurs larges attributions. Il portait à ces modestes institutions provinciales, fondées sur le principe électif, d’autant plus d’intérêt que, dans sa pensée, ces assemblées régionales devaient habituer le pays au self-government, et qu’avec plusieurs de ses amis, il semble y avoir vu, non pour le présent, mais poux un avenir encore indéterminé, le germe d’un gouvernement représentatif et constitutionnel[1]. Ce qu’il voyait à Saint-Pétersbourg était du reste peu fait pour lui donner le désir d’y rester, comme nous l’apprennent les fragmens suivans de sa correspondance.


« Saint-Pétersbourg, 20 mai 1er juin[2].

« Après avoir obtenu l’autorisation de retourner à Paris, il m’est encore plus difficile de contenir mon impatience, mais la raison a pris le dessus, et je me suis décidé à terminer ici les travaux qu’on m’a confiés d’une façon privée… Mon genre de vie est très agité et fatigant. Toute la matinée se passe à recevoir ou à faire des visites qui n’ont pas de fin. Ensuite, chaque jour, dîners et soirées chez les amis… Il reste ainsi peu de temps pour le travail. La semaine dernière, j’ai dîné trois fois chez Dmitri, et les autres jours chez Reutern, Obolensky, Solovief, etc. En un mot, l’hospitalité russe s’est montrée dans tout son éclat. J’ai fait visite aux personnages officiels (ministres et autres), j’ai reçu leurs cartes, mais, excepté Tchepkine et le prince Gortchakof, je n’en ai vu aucun, ce dont je n’ai pas trop de regret. A notre réunion le récit détaillé de tout ce que j’ai vu et entendu. En général, il y a peu de changemens dans les personnes ou les conversations. Mêmes histoires, mêmes discussions, mêmes critiques, mêmes craintes ; seulement tout cela a pris un caractère encore plus vague et fébrile. Ils ont tous l’air d’attendre quelque chose, de redouter quelque chose et ils parlent, ils parlent sans discontinuer…

«… Il fait ici un froid horrible. Le soleil est dans tout son éclat,

  1. Cela parait ressortir de certains passages de sa correspondance ; voyez par exemple plus haut la fin de la lettre de la grande-duchesse Hélène du 20 janvier 7 février 1862.
  2. . Lettre à sa femme.