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par le khédive et qu’elle ne secondât ses plus déplorables entreprises. On ne prévoyait pas l’hypothèse où elle se placerait au contraire en face du vice-roi pour essayer de s’emparer d’une partie du gouvernement et pour devenir le premier corps politique de l’Égypte. On la prévoyait si peu qu’on n’hésitait pas à rendre cette cour maîtresse de la loi elle-même. Les codes égyptiens avaient été dressés à la hâte et pour ainsi dire bâclés avec une précipitation qui en a fait un monument d’inconséquence. Pour suppléer à des lacunes évidentes, pour affaiblir des contradictions qui sautaient aux yeux, il fut décidé « qu’en cas de silence, d’insuffisance ou d’obscurité de la loi, le juge se conformerait aux principes du droit naturel et aux règles de l’équité. » Proclamation élastique qui permettait à la magistrature de faire subir à la législation toutes les modifications qui lui conviendraient ! On alla plus loin. L’art. 12 du code civil déclara « que les additions et modifications aux présentes lois seraient édictées sur l’avis conforme du corps de la magistrature, et au besoin sur sa proposition, » ce qui était confondre le pouvoir législatif avec le pouvoir judiciaire, et inviter les nouveaux tribunaux à s’ériger en parlement de l’ancien régime, enregistrant les lois et pouvant par suite s’opposer à leur promulgation.

Nous le répétons, tout l’effort de la diplomatie française avait eu plutôt pour but d’étendre que de contenir dans de justes bornes la puissance politique des nouveaux tribunaux. Leur puissance judiciaire seule avait été restreinte. D’importantes concessions ayant été obtenues sur ce dernier point, la France consentit enfin à désigner des magistrats pour la représenter dans la nouvelle justice ; mais quand ceux-ci arrivèrent au Caire et à Alexandrie, cette justice fonctionnait déjà sans eux depuis plusieurs semaines, et il leur fut absolument impossible d’exercer la moindre influence sur son organisation et ses premiers actes. Arrivés trop tard en Égypte, les magistrats français n’ont jamais pu y regagner l’avance que les magistrats des autres nations avaient prise sur eux. Sur trois tribunaux de première instance et une cour d’appel où l’on applique la loi française, où la langue officielle est le français, il n’y a pas aujourd’hui un seul président de notre nation ! Il faut dire aussi que la situation faite par leur propre gouvernement à nos magistrats a puissamment contribué à leur imposer un rôle précaire, étroit, effacé. Les autres gouvernemens, et en particulier ceux d’Allemagne, de Russie, d’Autriche et d’Italie, comprenant l’intérêt d’envoyer en Égypte des hommes qui sussent tirer de la réforme judiciaire un grand parti politique, avaient pris soin de choisir leurs magistrats dans l’élite de leur corps judiciaire. Ils ne s’en étaient pas tenus là : loin de considérer ces magistrats comme des Égyptiens,