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la légalité ou l’illégalité d’un acte de la puissance publique égyptienne, et secondement de ne reconnaître comme légaux que ceux de ces actes qui sont revêtus de l’adhésion des puissances. D’après les capitulations et les traités, les puissances ont le droit de remontrance diplomatique quand une loi touche à leurs nationaux, mais elles n’ont aucunement le droit de participer à la rédaction de cette loi en lui imprimant par leur acceptation un caractère obligatoire qu’elle n’aurait pas sans cela. On se plaignait beaucoup des empiétemens de pouvoir que le régime consulaire avait favorisés en Égypte. Y en avait-il pourtant un seul qu’on pût comparer à celui qui a mis la puissance législative entre les mains de quatorze états, dont quatre ou cinq à peine ont des intérêts réels dans le pays, qui a réduit le gouvernement égyptien à un état de dépendance tel qu’il ne lui est plus possible de régler ses affaires les plus urgentes sans consulter le bon plaisir de la Hollande, des États-Unis ou de la Grèce[1] ?

C’est de la crise financière provoquée par la faillite de l’Égypte en 1876 que sont sortis tous les empiétemens de la magistrature mixte. Comprenant le parti qu’elle pourrait tirer de la faiblesse où cette faillite plaçait le gouvernement égyptien, la cour d’appel d’Alexandrie a profité, dès le premier jour, des circonstances favorables qui lui étaient offertes pour s’emparer d’une fonction de la puissance publique en refusant de reconnaître un caractère légal aux mesures prises pour la conversion de la dette[2]. Il est inutile de raconter en détail comment la question s’est posée devant elle et comment elle l’a résolue ; le seul point important est de mettre en évidence les principes généraux qu’elle a tirés d’un cas particulier. Il s’agissait d’un procès entre un Italien, M. César Carpi, et la daïra

  1. Pour éviter toute équivoque, il est bon de prévenir le lecteur qu’un jugement récent du tribunal de première instance d’Alexandrie, confirmé par un arrêt de la cour d’appel, vient de modifier du tout au tout ou du moins de transformer, en l’expliquant, de manière à la rendre méconnaissable, la jurisprudence des tribunaux mixtes. La cour reconnaît aujourd’hui qu’elle est incompétente pour juger une loi d’administration publique faite par le gouvernement égyptien, et par conséquent que ce gouvernement peut faire une loi de ce genre sans son concours et sans celui des quatorze puissances qui ont adhéré à la réforme. Mais cet arrêt, excellent en lui-même, est venu trop tard pour changer ou modifier la situation créée par les arrêts précédens. Cela est si vrai, que le gouvernement égyptien a été obligé de recourir à une commission internationale afin de faire une loi de liquidation financière, et que si cette loi, une fois faite, avait été repoussée par une seule des quatorze puissances qui ont adhéré à la réforme, elle n’aurait aujourd’hui aucune valeur légale. A la veille de l’expiration des traités, la cour a jugé habile et sage d’abandonner l’attitude qu’elle avait gardée quatre ans, mais les conséquences de cette attitude sont irrémédiablement acquises ; un repentir tardif ne les a nullement détruites.
  2. Voir, à ce sujet l’article de M. Paul Merruau, que nous avons signalé plus haut dans la Revue du 15 août 1876.