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n’avait pas été rendu sans protestation. Refusant de venir plaider une cause dans laquelle ses droits politiques et administratifs étaient impliqués, le gouvernement égyptien s’était borné à faire lire au tribunal une déclaration qu’il est juste de reproduire, car elle est l’expression même de la vérité et du droit.

En voici le texte complet :


Messieurs, le tribunal a certainement mesuré toute la gravité du débat que l’on vient porter devant lui, et nul ne s’étonnera de l’attitude que les circonstances imposent au gouvernement. Ce que l’on met en question, ce n’est point un acte de son administration dont les atteintes froisseraient un droit acquis, c’est une prérogative souveraine elle-même dans ce qui constitue son essence : la puissance législative. Le décret du 16 avril 1876, qui a prorogé les échéances, celui du 7 mai qui, dans un intérêt général de premier ordre, transforme en une dette unique et nouvelle toutes les dettes antérieures du pays, sont des actes du législateur. Le législateur ne peut donc ni ne doit les discuter en cours de justice. Plein de respect pour les décisions de tribunaux qu’il a appelés de tous ses vœux et dont il a voulu être le premier justiciable dans toutes ses relations d’ordre privé avec les étrangers dont les richesses, l’activité et l’industrie concourent à la prospérité de ce pays, le gouvernement se rend à toutes les assignations qui l’appellent devant les juges et n’attend d’eux que des sentences sur le terrain où les lois internationales constitutives de la réforme ont permis aux tribunaux de se mouvoir en toute-puissance.

Mais ce terrain n’est pas sans limites. Vous avez, messieurs, le pouvoir judiciaire tout entier ; votre intervention va jusqu’à protéger les droits privés contre les atteintes accidentelles que leur pourraient porter les actes de l’administration permanente du pays ; mais elles s’arrêtent là où elles se trouveraient en conflit avec la puissance législative. En se liant réciproquement par le pacte international auquel les tribunaux doivent l’existence, les puissances européennes et le gouvernement ont voulu doter le pays d’institutions protectrices des droits de tous, et rien jusqu’à ce jour n’a pu ébranler les grandes espérances fondées sur cet accord. Mais le gouvernement n’a point entendu faire abandon de sa propre puissance en subordonnant les mesures législatives d’intérêt général au contrôle souverain des nouveaux tribunaux, et les puissances amies n’ont point abdiqué aux mains de ces tribunaux les droits et les devoirs généraux de la protection qu’elles exercent sur leurs propres sujets. Si donc ces puissances estimaient qu’une loi nouvelle blessât les droits de leurs nationaux, elles seules pourraient engager avec le gouvernement de Son Altesse des négociations dont le gouvernement attendrait avec pleine confiance le résultat ; jusque-là les tribunaux les devraient appliquer. Tel est le principe de la séparation