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et qu’on ne pût pas douter qu’il ait voulu rendre inaliénables à l’égard de certains créanciers des biens qui, par leur nature et les dispositions de la loi, étaient le gage commun de tous, il n’était pas loisible au chef de l’état d’introduire, sans l’assentiment des puissances signataires de la réforme, une modification quelconque au système établi par les nouveaux codes, que cela résulte des dispositions formelles de l’article 40 du titre 11 du règlement d’organisation judiciaire, aux termes duquel, « pendant la période quinquennale, aucun changement ne peut avoir lieu dans le système adopté, etc. » — Ainsi le khédive, en cédant ses biens à l’ensemble de ses créanciers, ne pouvait pas, sans l’assentiment des quatorze puissances qui ont adhéré à la réforme, empêcher une partie de ces créanciers de s’en emparer et d’en spolier les autres ! De là des complications diplomatiques et financières qui ont duré plus d’une année. Pour rendre les domaines de l’état insaisissables, pour les laisser à la communauté des créanciers au lieu de les abandonner en détail aux plus pressés ou aux plus habiles d’entre eux, il a fallu négocier durant de longs mois avec toutes les puissances, et, pendant qu’on négociait, une partie du gage de tous passait entre les mains de quelques-uns. Singulière conséquence d’un système judiciaire qui devait, dans la pensée de ses auteurs, importer en Égypte l’égalité devant la justice !

Il serait beaucoup trop long de raconter en détail les péripéties de la crise qu’a provoquée le respect scrupuleux de ce que la cour d’appel d’Alexandrie appelle « le système adopté. » La première conséquence en a été de faire dépendre le règlement d’intérêts purement égyptiens, anglais et français, du caprice arbitraire de nous ne savons quel état minuscule, instrument docile d’intrigues politiques ou financières plus ou moins avouables. La dette égyptienne est placée tout entière en France et en Angleterre ; c’est à peine, si l’Autriche et l’Italie en possèdent quelques titres ; les autres puissances n’en possèdent pas du tout. Le dernier emprunt fait par l’Égypte, celui dont les domaines de l’état sont le gage, est resté complètement en France et en Angleterre. Eh bien ! quand il s’est agi de déclarer que les domaines de l’état seraient insaisissables, ce qui était absolument nécessaire pour que l’emprunt eût quelque solidité, la Grèce a entravé longtemps une mesure aussi simple, aussi légitime, et qui la regardait aussi peu ! La maison Rothschild, qui a fait l’emprunt, avait entre les mains les sommes nécessaires pour payer deux coupons arriérés. L’opposition de la Grèce l’a obligée de les garder plusieurs semaines en réserve ! En présence de faits de ce genre, n’est-on pas forcé de se demander non-seulement ce qu’est devenue l’autonomie de l’Égypte, mais ce que sont devenus aussi les droits des grandes puissances ? Grâce