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substitution de personne forçait parfois de recommencer dans un pays un procès gagné dans un autre, en sorte qu’on n’en voyait jamais l’issue. De là les plaintes provoquées par le régime consulaire. Mais ces plaintes pourraient-elles se reproduire si les puissances signataires de la réforme s’entendaient pour choisir, dans une nation neutre, ayant une jurisprudence conforme au droit français, la Belgique par exemple, la cour de cassation qui statuerait en droit sur toutes les causes jugées par la cour d’appel d’Alexandrie et que la partie perdante voudrait soumettre à une troisième instance ? Puisque le nombre des simples appels est de quatre cents environ par an, le nombre des appels en cassation serait tout au plus de cent cinquante à deux cents. Pour un si petit nombre de causes, vaut-il la peine de créer une cour de cassation très coûteuse ? Vaut-il aussi la peine de se préoccuper des difficultés matérielles causées par la distance qui existe entre Bruxelles et Alexandrie ? Sur ces cent à deux cents causes, combien peu exigeraient le déplacement des plaideurs ? En général, les parties n’assistent pas aux procès en cassation ; elles se contentent d’envoyer les dossiers à des avocats et à des hommes d’affaires spéciaux dans la ville où se trouve la cour. Cette habitude s’établirait d’autant plus aisément en Égypte qu’elle y serait conforme aux mœurs d’il y a cinq ans, à l’époque où le régime consulaire était dans toute sa vigueur. Il n’y a donc point d’objection matérielle sérieuse à faire au projet que nous présentons.

On y fait en Égypte des objections morales encore moins sérieuses. Le gouvernement égyptien, qui regarde la justice mixte comme une institution nationale, répugne à l’idée d’en chercher au dehors le couronnement ; il lui semble que son autonomie en sera atteinte, que ce sera une diminution de son autorité personnelle. Le contraire est la vérité. Comment qu’on s’y prenne, de quelque manière qu’en cherche à limiter son mandat, que ce soit une cour de cassation ou une cour d’appel, la cour suprême de la réforme judiciaire deviendra, si elle continue à siéger en Égypte où elle sera nécessairement internationale, une assemblée politique, foyer de nombreuses compétitions diplomatiques, centre d’une action morale extérieure avec laquelle le gouvernement aura toujours à compter. Pour que cette cour reste purement judiciaire, pour qu’elle s’enferme dans ses fonctions, pour qu’elle ne soit pas la tête ou le bras d’un parti, il faut qu’elle soit éloignée d’une terre où il est presque impossible d’échapper à l’esprit d’intrigue. Si elle reste à Alexandrie, elle cherchera inévitablement à y jouer le rôle qu’y joue en ce moment la cour d’appel ; on aura déplacé la difficulté, on ne l’aura pas résolue. Le seul moyen de ménager l’indépendance du gouvernement égyptien, d’atteindre la proie au lieu de l’ombre, est de