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plus d’effet. Il suffit de se souvenir, d’observer et de comparer. Non, l’industrie n’est pas déchue, elle n’est point menacée de la ruine ; les souffrances d’une période de crise, si douloureuses qu’elles soient, ne comportent pas la modification du régime légal sous lequel nous l’avons vue grandir et prospérer.

Il n’est donc point nécessaire d’insister sur cette partie de la discussion, qui n’aboutirait, d’ailleurs, qu’à des répétitions inutiles, tous les argumens ayant été épuisés à la tribune et dans la presse. On peut invoquer d’autres considérations, tirées de la situation nouvelle qui est faite à de nombreuses industries, et du mouvement d’idées qui, sous une démocratie, entraîne le législateur à réaliser le plus rigoureusement possible l’égalité et la liberté dans les lois.

Les enquêtes ont révélé l’antagonisme qui existe entre certaines branches d’industrie. Au temps de la prohibition, tous les industriels étaient protectionnistes ; ils avaient tous intérêt à être protégés. Dès que les barrières de douanes ont été abaissées et que les produits étrangers ont obtenu un accès plus facile, les industries qui mettent ces produits en œuvre se sont particulièrement développées, et elles n’admettent pas aujourd’hui qu’un relèvement des droits rende leurs approvisionnemens plus coûteux et moins abondans. C’est ainsi que bon nombre de manufacturiers sont devenus libéraux en matière de tarifs et que certaines régions industrielles, naguère acquises au parti de la protection, se sont converties à la liberté des échanges. Sans parler du consommateur, qui est évidemment intéressé à la suppression de toutes les taxes, beaucoup de producteurs seraient lésés si, pour complaire à d’autres, l’on augmentait les droits sur les articles dont ils font emploi. La loi ne peut pas favoriser celui-ci sans sacrifier celui-là. Chaque coup de tarif porte, et plus nous allons, plus nombreux sont les blessés. La multiplication des industries et, dans chaque industrie, la division du travail, ont créé des intérêts nouveaux, des intérêts opposés, qui ont mis le désarroi dans l’ancienne armée protectionniste et qui ont singulièrement compliqué le devoir du législateur. De quel côté, en effet, doit pencher la balance ? D’après quoi se réglera-t-on pour décider si l’un de ces intérêts opposés l’emportera sur l’autre ? Tiendra-t-on compte de l’ancienneté de l’industrie, ou de l’importance des capitaux, ou du chiffre des ouvriers ? On a bien essayé jusqu’ici de résoudre le problème, en se livrant à de minutieux calculs, en s’appliquant à maintenir une sorte d’équilibre, en plaçant la décision sous l’abri de l’intérêt général. Mais, à mesure que l’industrie grandit et s’épanouit, ce problème devient insoluble, l’équilibre est de plus en plus instable et